Summary: | La dominance sociale est un aspect important de l'écologie évolutive des ongulés mâles polygynes. L'étude des traits physiologiques et comportementaux qui déterminent le rang hiérarchique est donc fondamentale pour comprendre les pressions sexuelles sélectives agissant sur les mâles de ces espèces. Un des traits souvent associé au rang de dominance est la longueur des cornes, mais très peu d'études ont pu comparer les dimensions des cornes avec le rang social d'individus marqués. Si chaque individu était de qualité comparable, une croissance rapide des cornes pourrait être contrebalancée par une diminution en survie. Alternativement, si le taux de croissance des cornes varie selon la qualité individuelle, il pourrait être corrélé positivement avec la longévité. Le but de ma maîtrise était d'étudier les déterminants du rang social et les compromis de croissance du bouquetin des Alpes ( Capra ibex ). Pour atteindre mes objectifs, j'ai suivi des mâles marqués dans le Parc National du Grand Paradis, Italie, afin d'étudier l'importance relative de leurs traits d'histoire de vie par rapport à leur position hiérarchique. Parallèlement à cela, j'ai utilisé une banque de données de crânes de bouquetin des Alpes pour étudier les compromis de croissance par rapport à la longévité. Tout d'abord, j'ai développé une méthode pour mesurer à distance les cornes de bouquetins. Cette méthode utilise un support en aluminium qui soutient des pointeurs lasers parallèles et une caméra digitale. J'ai ensuite pris des photos des cornes de bouquetin sur lesquelles je pouvais utiliser la distance fixe entre les deux points de lasers pour mesurer directement sur la photo, et avec précision, l'accroissement annuel des cornes. Ensuite, j'ai observé les bouquetins mâles durant le printemps et l'été 2006 afin de déterminer leur rang hiérarchique. J'ai aussi analysé des données comportementales récoltées en 2003 par une équipe italienne travaillant sur la même population. J'ai découvert que la dominance à l'intérieure d'une dyade était très stable et que je pouvais organiser le groupe de mâles selon un rang hiérarchique linéaire. La masse corporelle et la taille des cornes covariaient positivement et expliquaient directement le rang qu'occupe un individu. Étant donné la grande variabilité entre les mâles, dû à une forte hétérogénéité en masse corporelle et longueur de cornes, tant à l'intérieur qu'entre les âges, l'effet de l'âge sur le rang était indirect. L'âge demeurait néanmoins un trait important, car un mâle ayant un fort taux de croissance pouvait atteindre le sommet de la hiérarchie à un plus jeune âge qu'un mâles qui croît lentement. De plus, les mâles semblaient utiliser la taille des cornes et la masse corporelle comme une indication de la capacité à combattre des autres mâles. En effet, les plus petits mâles, qui ne sont pas nécessairement les plus jeunes, évitaient les altercations violentes avec les mâles de plus grande taille, probablement pour éviter des blessures et donc maximiser leur survie. Finalement, suite à mon étude sur 383 crânes de mâles bouquetins morts de causes naturelles, j'ai découvert qu'il n'y a aucun compromis entre le taux de croissance des cornes en bas âge et la longévité. De plus, les cornes des bouquetins ne démontrent pas de croissance compensatrice. Par conséquent, les bouquetins avec la plus forte croissance des cornes en bas âge ont les plus longues cornes plus tard dans leur vie et ne souffrent pas d'une mortalité accrue. En conclusion, j'ai découvert une grande variabilité phénotypique entre les bouquetins mâles. Cette variabilité ne semble ne pas affecter le risque de mortalité, mais affecte plutôt la capacité des mâles à accéder au sommet du rang hiérarchique. Je n'ai pas mis en évidence un compromis de croissance pouvant affecter la longévité et donc il est probable que le succès reproducteur individuel soit très variable. L'avantage d'avoir un fort taux de croissance, tant en corne qu'en masse, semble donc être considérable et devrait être soumis à une forte sélection sexuelle. Ces résultats fournissent une explication potentielle au maintien d'un fort dimorphisme sexuel chez le bouquetin des Alpes.
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