Summary: | La production d'anticorps dirigés contre l'autoantigène Ro, un ensemble de ribonucléoprotéines formées par l'association d'un polypeptide antigénique de 60 kiloDalton (kD) et de 4 ARNs de petit poids moléculaire (hY1, hY3, hY4, et hY5), représente l'une des manifestations sérologiques les plus fréquentes chez les patients atteints de collagénoses telles que le Lupus Erythémateux Disséminé (LED) et le syndrome de Sjögren (SS). Nous avons tenté au cours de ce travail d'aider à définir les conditions menant à la formation de ces anticorps et à raffiner leurs corrélations cliniques. Dans un premier temps, nous avons mis en évidence une hétérogénéité immunologique des anticorps anti-Ro qui correspond à une hétérogénéité biochimique des ribonucléoprotéines Ro. En particulier, nous avons démontré qu'une proportion significative des autoanticorps anti-Ro sont dirigés contre des déterminants antigéniques présents uniquement sur la ribonucléoprotéine contenant l'ARN hY5 (RohY5) intacte. Ce déterminant antigénique n'est présent ni sur les composantes protéiniques (Ro ou La) et ARN (hY5) isolées, ni sur les autres ribonucléoprotéines Ro, qu'elles soient d'origine humaine ou animale. Cette population d'anti-Ro représente donc de véritables AUTOanticorps qui, de plus, reconnaissent spécifiquement des déterminants conformationnels. Dans un travail antérieur complété par Sylvie Lapointe, nous avions démontré que la majorité des sera anti-Ro contiennent des anticorps dirigés contre des déterminants conformationnels sur l'antigène Ro de 60 kD. Afin de tenir compte de ces nouvelles données, nous proposons que les stimuli conduisant à la production de certains autoanticorps impliquent une immunisation directe par un autoantigène intact. Afin de préciser les éléments structurels ou fonctionnels qui favorisent l'immunogénicité des ribonucléoprotéines RohY5, nous avons développé une technique de purification biochimique qui nous a permis d'obtenir et de caractériser ces ribonucléoprotéines intactes. Nous avons ainsi démontré que les ribonucléoprotéines Ro présentent un poids moléculaire apparent beaucoup plus élevé que la somme de leurs constituantes individuelles, suggérant une dimérisation de ces constituantes ou une association avec des protéines non encore caractérisées. De plus, nous avons démontré que la ribonucléoprotéine Rohy5 est associée de façon stable avec la protéine La. Cette dernière observation pourrait expliquer la fréquente production concomitante des anticorps anti-Ro, anti-RohY5, et anti-La, et constitue un nouvel argument en faveur de l'immunogénicité de la ribonucléoprotéine Rohy5 intacte. Dans un deuxième temps, nous avons voulu définir plus précisément la signification clinique de la production d'autoanticorps anti-Ro. Dans une étude pilote, nous avons observé qu'en comparaison avec un groupe de patients rhumatoïdes non producteurs d'anti-Ro appariés pour l'âge, les rhumatoïdes producteurs d'anti-Ro présentaient des caractéristiques démographiques et articulaires semblables mais présentaient une fréquence plus élevée de manifestations extra-articulaires. Pour donner suite à ces données préliminaires, nous avons établi une étude de cohorte portant sur toute la population de patients atteints de PR soignés à l'Unité des Maladies Rhumatismales (UMR) du Centre Hospitalier Universitaire de Sherbrooke (CHUS). À l'aide des résultats de notre étude pilote, nous avons défini 5 manifestations cibles pré-établies: 1) développement de LED/PR, 2) manifestations vasculitiques, 3) abaissement simultané des composantes C3 et C4 du complément, 4) leucopénie persistante (moins de 4.0 x 109\L) non reliée à la prise d'une médication myélotoxique, et 5) mise au monde d'un enfant atteint de lupus néonatal avec ou sans bloc atrioventriculaire cardiaque congénital (bloc AV). Nous avons ainsi établi qu'un échantillon de 292 patients (intervalle de 180 à 600 selon les hypothèses) permettrait de détecter, avec une puissance de 80%, une différence significative à 5% entre les patients rhumatoïdes producteurs et non-producteurs d'anti-Ro. Entre Novembre 1985 et Mai 1987, trois cent trois patients rhumatoïdes consécutifs ont été évalués, desquels 278 (91.7%) ont été inclus. Les patients inclus représentent un reflet non biaisé de la population rhumatoïde suivie par l'UMR, et présentent des caractéristiques cliniques comparables à celles d'autres populations Nord-Américaines de rhumatoïdes. Neuf patients (3.2%) produisaient des anticorps anti-Ro détectables par double immunodiffusion en gel d'agarose (ID). Ces 9 patients rhumatoïdes producteurs d'anti-Ro avaient des caractéristiques démographiques et articulaires semblables au groupe contrôle; ils présentaient toutefois plus fréquemment des manifestations de SS. Globalement, les patients producteurs d'anti-Ro avaient un risque relatif (RR) de 7.87 (p?0.001) de présenter l'une ou l'autre des manifestations cibles, notamment un abaissement simultané de C3 et de C4 (RR 2.30), une leucopénie en cours d'évolution (RR 6.64) et du purpura non thrombocytopénique de type vasculite leucocytoclasique (RR 44.83). Seuls des patients producteurs d'anti-Ro ont donné naissance à un enfant atteint de bloc AV (1 patiente) et développé un syndrome de chevauchement LED\PR caractérisé par le développement d'un lupus érythémateux cutané subaigu (LECS) (1 patient). De façon intéressante, les patients producteurs d'anti-Ro avaient aussi un risque plus élevé de présenter une photosensibilité marquée (RR 19.93) et d'être traités avec des doses élevées de corticostéroïdes et/ou avec des immunosuppresseurs (RR 2.37). Compte tenu de l'hétérogénéité biochimique et immunologique que nous avons démontrée dans le système Ro/anti-Ro, nos résultats obtenus par la technique relativement peu sensible de l'ID pourraient être raffinés par l'utilisation de techniques de détection plus sophistiquées. Notre travail ouvre de larges possibilités de recherche fondamentale pour définir les caractéristiques structurelles et fonctionnelles qui déterminent l'immunogénicité de l'autoantigène Ro. De même, il devient possible de définir la sensibilité et la spécificité de nouvelles techniques pour la détection des anti-Ro ainsi que d'établir leur utilité clinique éventuelle. C'est dans cette voie que nous sommes maintenant engagés.
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