Summary: | Le statut social humain dépend beaucoup du prestige, une forme de respect accordée de façon consentie aux individus jugés les plus compétents (les experts). Mais comment expliquer ce phénomène, inédit chez les primates ? J’aborde cette question en explorant les fondements émotionnels du lien entre la compétence et le statut social par le biais d’une approche évolutionnaire. Plus particulièrement, je teste l’hypothèse que l’envie et l’admiration sont deux émotions qui sous-tendent l’octroi de prestige et que leur expression est régulée par des programmes neurobiologiques mis en place par la sélection naturelle pour répondre à des enjeux compétitifs et coopératifs inhérents aux experts. Cette hypothèse est issue d’un modèle développé par Henrich et Gil-White (2001), selon lequel l’avènement de la culture humaine aurait créé un environnement où les experts représentent à la fois des rivaux pour le statut et des partenaires de coopération. Bien que ce modèle soit cohérent avec bon nombre de caractéristiques propres à l’envie et à l’admiration, il demeure limité quand il s’agit de prédire leurs patrons d’expression. À l’aide des données issues de la psychologie classique, j’en propose une version ajustée qui en conserve les principes de base, mais dans laquelle l’expression des deux émotions dépend de ce que j’appelle la valeur sociale de l’expert, à savoir ses qualités globales en tant que partenaire social (valeur coopérative) ou en tant que rival (valeur compétitive). Après avoir identifié une douzaine de facteurs affectant la valeur sociale, je mets à l’épreuve le modèle ajusté en testant l’hypothèse que les experts sont soit enviés ou admirés lorsque leurs valeurs compétitives ou coopératives sont respectivement élevées. Pour cela, j’utilise des données récoltées par l’entremise d’un questionnaire en ligne, dans lequel les participants étaient invités à décrire une situation impliquant un expert et ayant suscité chez eux de l’envie ou de l’admiration. D’une façon générale, les résultats de la présente étude ne permettent pas de tirer des conclusions fermes quant à la validité du modèle ajusté. Ils permettent néanmoins d’affirmer que ce modèle est approprié pour rendre compte des patrons d’expression de l’envie et de l’admiration et qu’il mérite d’être davantage exploré pour expliquer le lien entre la compétence et le prestige. Par exemple, les participants admiratifs figuraient parmi ceux qui attribuaient le plus de confiance en la disposition de coopérer des experts. Les participants envieux figuraient quant à eux parmi ceux ayant le plus décrit d’experts dont l’âge et le sexe les rendent plus à même d’être en compétition pour le statut. En étant en adéquation avec des prédictions issues d’un modèle construit à partir de la théorie de l’évolution, les résultats de cette étude appuient l’idée que les comportements humains répondent à des contraintes biologiques, et illustrent l’importance pour l’anthropologie d’intégrer l’approche évolutionnaire pour étudier les phénomènes sociaux complexes. === Human social status depends largely on prestige, a form of deference freely conferred to individuals that are deemed to be highly competent (i.e. experts). I attempt to explain this peculiar phenomenon, absent in other primates, by exploring the emotional and evolutionary underpinnings of the relationship between competence and status. More specifically, I test the hypothesis that prestige relies on envy and admiration and that these emotions are regulated by neurobiological adaptations selected to solve competitive and cooperative problems regarding experts. This hypothesis is based on a model developed by Henrich and Gil-White (2001), according to which, the evolution of human culture created an environment where experts represent both rivals for status and cooperation partners. Although consistent with many characteristics of envy and admiration, Henrich and Gil-White’s model does not provide the necessary framework to predict their manifestation. I propose an adjusted version to address the issue by using data from psychology research. This adjusted model follows the same fundamental principles as its original version, but adds the idea that the expression of envy and admiration depends on an expert’s social value. This value reflects the expert’s overall qualities as an ally (i.e. cooperative value) or as a threat to one’s status (i.e. competitive value). After identifying a dozen factors affecting an individual’s social value, I examine the adjusted model’s validity by challenging the idea that experts are either envied or admired when their competitive or cooperative values are respectively high. To that end, I use original data collected via an online questionnaire, in which participants were asked to describe a past event involving an expert who triggered envy or admiration. Overall, firm conclusions on the model’s validity cannot be drawn from this study alone. The provided results are nevertheless reliable enough to confirm its relevance as an explanation of the expression patterns of envy and admiration, and that the model deserves to be investigated further. For instance, admiring participants trusted significantly more the experts’ willingness to cooperate. Conversely, envious participants were more inclined to report experts whose age and sex made them more likely to be status threatening. By being congruent with evolutionary-based predictions, the results of this study demonstrate that human behaviour responds to biological constraints, and then, underscores the importance for anthropology of incorporating the evolutionary framework to study complex social phenomena.
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