Summary: | La société québécoise a, comme toutes les sociétés, ses crimes et criminels légendaires. Or, si ces faits divers célèbres ont fait l’objet, dans les dernières décennies, de quelques reconstitutions historiographiques, on connaît beaucoup moins, en revanche, le mécanisme de leur légendarisation, le processus historique et culturel par lequel ils passent du « fait divers » au fait mémorable. C’est d’abord ce processus que s’attache à étudier cette thèse de doctorat, qui porte sur quatre crimes célèbres des XVIIIe et XIXe siècles (le meurtre du seigneur de Kamouraska [1839] ainsi que les crimes commis par « la Corriveau » [1763], par le « docteur l’Indienne » [1829] et par les « brigands du Cap-Rouge » [1834-1835]) : pour chacun de ces cas particuliers, l’analyse reconstitue la généalogie des représentations du crime et du criminel de manière à retracer la fabrication et l’évolution d’une mémoire collective. Celles-ci font chaque fois intervenir un système complexe de discours : au croisement entre les textes de presse, les récits issus de la tradition orale et les textes littéraires, l’imaginaire social fabrique, à partir de faits criminels ordinaires, de grandes figures antagoniques, incarnations du mal ou avatars du diable. Ce vaste processus d’antagonisation est en fait largement tributaire d’une époque (le XIXe siècle) où, dans les sociétés occidentales, le « crime » se trouve soudainement placé au cœur de toutes les préoccupations sociales et politiques : l’époque invente un véritable engouement littéraire pour le crime de même que tout un arsenal de savoirs spécialisés, d’idées nouvelles et de technologies destinées à connaître, mesurer et enrayer la criminalité. Dès les premières décennies du XIXe siècle, le phénomène se propage de ce côté-ci de l’Atlantique. Dans la foulée, les grands criminels qui marquent la mémoire collective sont appelés à devenir des ennemis imaginaires particulièrement rassembleurs : figures d’une altérité radicale, ils en viennent à constituer le repoussoir contre lequel, à partir du XIXe siècle, s’est en partie instituée la société québécoise. === Quebec society, like all societies, has its own legendary crimes and criminals. Yet if these famous faits divers have been recently made into historiographical re-enactments, the cultural and historic manner in which they are transformed from local news reports into national myths – what we call mecanisms of “ légendarisation ” –, is practically unknown. It is this mutation that this thesis examines : drawing from four famous crimes of the 18th and 19th centuries (the Seigneur of Kamouraska’s murder [1839] as well as the crimes committed by “ La Corriveau ” [1763], by the “ docteur l’Indienne ” [1829] and by the “ brigands du Cap-Rouge ” [1834-1835]), our analysis recollects their two-hundred-year-long genealogy into collective memory. Through this collective memory, a complex discourse system arises for each crime : by intertwining newspaper reports and stories from oral and written traditions, social imagination manufactures great antagonist figures, incarnations of evil and avatars of the devil from ordinary criminal acts. This vast antagonizing process is in fact dependent on a whole epoch – the 19th century – where, in the western world, “ crime ” was suddenly placed at the heart of all social and political preoccupations. This era seemingly created a literary craze for crime, as well as a whole arsenal of specialized notions, ideas and technologies designed to understand, mesure and eliminate criminality. During the Lower Canada period, the phenomenon spreads across this side of the Atlantic. In the wake of this movement, the great criminals who impacted the collective mind are made to become especially rallying imaginary enemies : figures of a radical otherness, they become the foil against which Quebec society, from the 19th century onwards, instituted itself.
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