Summary: | La chimie est un sujet difficile étant donné ses concepts nombreux et souvent peu intuitifs. Mais au-delà de ces difficultés d’ordre épistémologique, l’apprentissage de la chimie peut être en péril lorsqu’il s’appuie sur des fondations instables, mêlées de conceptions alternatives. Les conceptions alternatives sont les représentations internes, tacites, des étudiants, qui sont en désaccord avec la théorie scientifiquement acceptée. Leur présence dans leur esprit peut nuire à la compréhension conceptuelle, et elle peut mener les étudiants à expliquer le comportement de la matière incorrectement et à faire des prédictions inexactes en chimie. Les conceptions alternatives sont réputées répandues et difficiles à repérer dans un cadre traditionnel d’enseignement. De nombreuses conceptions alternatives en chimie ont été mises en lumière par différents groupes de chercheurs internationaux, sans toutefois qu’une telle opération n’ait jamais été réalisée avec des étudiants collégiaux québécois. Le système d’éducation postsecondaire québécois représentant un contexte unique, une étude des difficultés particulières de ces étudiants était nécessaire pour tracer un portrait juste de la situation.
De plus, des chercheurs proposent aujourd’hui de ne pas faire uniquement l’inventaire des conceptions, mais de s’attarder aussi à étudier comment, par quel processus, elles mènent à de mauvaises prédictions ou explications. En effet, ils soutiennent que les catalogues de conceptions ne peuvent pas être facilement utilisés par les enseignants, ce qui devrait pourtant être la raison pour les mettre en lumière : qu’elles soient prises en compte dans l’enseignement. Toutefois, aucune typologie satisfaisante des raisonnements et des conceptions alternatives en chimie, qui serait appuyée sur des résultats expérimentaux, n’existe actuellement dans les écrits de recherche. Plusieurs chercheurs en didactique de la chimie suggèrent qu’une telle typologie est nécessaire et devrait rendre explicites les modes de raisonnement qui mettent en jeu ces conceptions alternatives. L’explicitation du raisonnement employé par les étudiants serait ainsi la voie permettant de repérer la conception alternative sur laquelle ce raisonnement s’appuie.
Le raisonnement est le passage des idées tacites aux réponses manifestes. Ce ne sont pas toutes les mauvaises réponses en chimie qui proviennent de conceptions alternatives : certaines proviennent d’un manque de connaissances, d’autres d’un agencement incorrect de concepts pourtant corrects. Comme toutes les sortes de mauvaises réponses d’étudiants sont problématiques lors de l’enseignement, il est pertinent de toutes les considérer. Ainsi, ces préoccupations ont inspiré la question de recherche suivante :
Quelles conceptions alternatives et quels processus de raisonnement mènent les étudiants à faire de mauvaises prédictions en chimie ou à donner de mauvaises explications du comportement de la matière?
C’est pour fournir une réponse à cette question que cette recherche doctorale a été menée.
Au total, 2413 étudiants ont participé à la recherche, qui était divisée en trois phases : la phase préliminaire, la phase pilote et la phase principale. Des entrevues cliniques ont été menées à la phase préliminaire, pour explorer les conceptions alternatives des étudiants en chimie. Lors de la phase pilote, des questionnaires à choix multiples avec justification ouverte des réponses ont été utilisés pour délimiter le sujet, notamment à propos des notions de chimie les plus pertinentes sur lesquelles concentrer la recherche et pour mettre en lumière les façons de raisonner des étudiants à propos de ces notions. La phase principale, quant à elle, a utilisé le questionnaire à deux paliers à choix multiples « Molécules, polarité et phénomènes » (MPP) développé spécifiquement pour cette recherche. Ce questionnaire a été distribué aux étudiants via une adaptation de la plateforme Web ConSOL, développée durant la recherche par le groupe de recherche dont fait partie la chercheuse principale.
Les résultats montrent que les étudiants de sciences de la nature ont de nombreuses conceptions alternatives et autres difficultés conceptuelles, certaines étant très répandues parmi leur population. En particulier, une forte proportion d’étudiants croient que l’évaporation d’un composé entraîne le bris des liaisons covalentes de ses molécules (61,1 %), que tout regroupement d’atomes est une molécule (78,9 %) et que les atomes ont des propriétés macroscopiques pareilles à celles de l’élément qu’ils constituent (66,0 %).
D’un autre côté, ce ne sont pas toutes les mauvaises réponses au MPP qui montrent des conceptions alternatives. Certaines d’entre elles s’expliquent plutôt par une carence dans les connaissances antérieures (par exemple, lorsque les étudiants montrent une méconnaissance d’éléments chimiques communs, à 21,8 %) ou par un raisonnement logique incomplet (lorsqu’ils croient que le seul fait de posséder des liaisons polaires rend nécessairement une molécule polaire, ce qu’on observe chez 24,1 % d’entre eux).
Les conceptions alternatives et les raisonnements qui mènent à des réponses incorrectes s’observent chez les étudiants de première année et chez ceux de deuxième année du programme de sciences, dans certains cas avec une fréquence diminuant entre les deux années, et dans d’autres, à la même fréquence chez les deux sous-populations. Ces résultats permettent de mitiger l’affirmation, généralement reconnue dans les écrits de recherche, selon laquelle les conceptions alternatives sont résistantes à l’enseignement traditionnel : selon les résultats de la présente recherche, certaines d’entre elles semblent en effet se résoudre à travers un tel contexte d’enseignement.
Il demeure que plusieurs conceptions alternatives, carences dans les connaissances antérieures de base et erreurs de raisonnement ont été mises en lumière par cette recherche. Ces problèmes dans l’apprentissage mènent les étudiants collégiaux à faire des prédictions incorrectes du comportement de la matière, ou à expliquer ce comportement de façon incorrecte. Au regard de ces résultats, une réflexion sur l’enseignement de la chimie au niveau collégial, qui pourrait faire une plus grande place à la réflexion conceptuelle et à l’utilisation du raisonnement pour la prédiction et l’explication des phénomènes étudiés, serait pertinente à tenir. === The difficulties found in learning Chemistry are mostly ascribed to the fact that it comprises many complex and counter-intuitive concepts. But beyond these epistemological challenges, learning chemistry can be in jeopardy when it relies on learners’ unstable foundations mixed with alternative conceptions. Alternative conceptions are tacit internal representations that students hold in disagreement with scientifically accepted theories. The presence of alternative conceptions in students’ minds might harm their conceptual understanding leading them to wrongly explain the behaviour of matter and to make incorrect predictions in chemistry. Alternative conceptions are recognised as widespread and difficult to identify in a traditional educational setting. Many alternative conceptions in chemistry have been identified by different groups of researchers in international settings, but such an operation has never been carried out with Quebec college students. As Quebec’s post-secondary education system represents a unique context, a study of the particular difficulties of students in this system was necessary to draw an accurate picture of the situation.
Furthermore, researchers presently suggest not only to list such alternative conceptions, but also to explore by what processes they lead to wrong predictions or explanations. Researchers indeed argue that mere lists of alternative conceptions cannot be easily used by teachers, who should be the target audience for these results if they are to take into account alternative conceptions in their teaching. However, no satisfactory typology of reasoning processes and alternative conceptions in chemistry exists today in the research literature. Several researchers in chemistry education suggest that such a typology is needed and should render explicit the reasoning processes involving these alternative conceptions. Explicitation of the reasoning used by the students while performing a task in chemistry would be the way to identify the alternative conception on which this reasoning is based.
Reasoning is viewed as the process that proceeds from implicit ideas to explicit answers. Not all wrong answers in chemistry come from alternative conceptions: some come from a lack of knowledge, other from logical errors. Since all types of wrong answers from students are problematic during teaching, it is relevant to consider them all. Thus, these concerns have inspired the following research question:
What alternative conceptions and modes of reasoning lead students to make poor predictions in chemistry or to give wrong explanations of the behavior of matter?
This doctoral research was conducted to provide an answer to this question.
In total, 2,413 students enrolled in Science programmes in Québec’s college (postsecondary pre-university) system were involved in this research, which was divided into three phases: preliminary phase, pilot phase and main phase. Clinical interviews were conducted in the preliminary phase to explore chemistry students’ alternative conceptions. During the pilot phase, multiple-choice questions with open-ended justification were used to delimit the chemistry topics to be studied and to highlight ways of reasoning that students use. The main phase, for its part, used the two-tier “Molecules, Polarity and Phenomena” questionnaire (MPP) developed specifically for this research. The questionnaire was distributed to students via an adaptation of the Consol Web platform, developed by the research group of the principal investigator of this doctoral study.
The results show that Science students hold several alternative designs, some of which are quite widespread among the population. In particular, a high proportion of students believe that evaporation causes the breaking of covalent bonds of the molecules (61.1 %), that all atom groups are molecules (78.9 %) and that atoms have similar macroscopic properties as the element (66.0 %).
On the other hand, not all bad answers in the MPP show alternative conceptions. Some of them are rather explained by a deficiency in prior knowledge (for example, when students show a lack of knowledge of common chemical elements, 21.8 %) or an incomplete logical reasoning (when they believe the mere possession of polar bonds necessarily makes a molecule polar, which is observed in 24.1% of them).
Alternative conceptions and reasoning that lead to incorrect answers are found among first-year and second-year students in the Science program, in some cases with decreasing frequency between the two years, and in others, at the same frequency in both subpopulations. These results mitigate the statement generally found in the research literature, that alternative conceptions are resistant to traditional teaching: according to the results of this research, some of them seem to actually be resolved through such a teaching context.
The fact remains, however, that several alternative conceptions, deficiencies in basic prior knowledge and reasoning errors have been highlighted by this research. These learning problems lead college students to make incorrect predictions about the behaviour of matter, or to explain this behaviour incorrectly. In view of these results, a reflection on the teaching of chemistry at the college level, placing a greater emphasis on conceptual thinking and the use of reasoning for the prediction and explanation of the studied phenomena, should be considered.
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