Summary: | Chez l’adulte, la production écrite est une activité motrice automatisée. L’écriture est fluide et rapide car la production de chaque lettre repose sur l’activation préalable d’une mémoire procédurale connue sous le terme « programme moteur » ou « carte sensori-motrice ». Nous nous sommes attachés à comprendre comment s’élaborent ces programmes moteurs au cours de l’apprentissage de l’écriture. Nous avons étudié comment l'écriture des enfants évoluait d’une programmation trait par trait à une programmation lettre à lettre. Dans toutes nos études nous avons enregistré les mouvements d’écriture des enfants à l’aide d’une tablette digitalisante. Dans la première expérience, 98 enfants de 6 à 9 ans devaient produire des lettres de complexité variable, dépendant de leur nombre de strokes. Les résultats ont indiqué qu’à 6 et 7 ans, la durée du mouvement, la dysfluence et la trajectoire augmentaient avec le nombre de strokes de la lettre. Chaque allographe était produit par l’activation du premier stroke, puis du deuxième stroke et ainsi de suite jusqu’à la réalisation de la lettre complète. Le nombre de strokes des lettres affectait beaucoup moins la production des enfants plus âgés. Les enfants regroupaient la programmation de ces strokes en chunks, qui augmentaient en taille progressivement pour aboutir, à la fin du processus d’automatisation, à une production lettre à lettre. L’analyse a révélé que les premiers automatismes se stabilisaient aux alentours de 8 ans. Toutefois, certaines lettres restaient représentées en chunks même chez les enfants les plus âgés. La nature du stroke à produire semblait affecter également la mise en place des automatismes. Ainsi, une autre expérience a été réalisée pour étudier l’impact de la production des strokes nécessitant des mouvements de rotation, indispensables à la production de traits courbés (e.g., pour la lettre o), et des mouvements de pointage nécessaires pour positionner l’outil scripteur après leur lever (e.g., pour mettre le point sur le i). Nous avons demandé à 108 enfants âgés de 6 à 10 ans d’écrire des séquences de lettres majuscules variant en termes de mouvements de pointage et de rotation. Les résultats ont indiqué que les pointages requerraient un compromis entre les durées des mouvements sur la feuille et en l’air. Les mouvements de rotation impliquaient une réduction de l’écart entre les vitesses maximales et minimales. Le respect d’un tempo de l’écriture semble gouverner ces stratégies compensatoires qui sont spécifiques au type de mouvement. Au niveau développemental, la présence de paliers dans les données cinématiques, laisse à penser que la majeure partie de l’évolution se situe dans la période 6-8 ans, et précède une phase de stabilisation entre 8 et 10 ans caractérisant le début de l’automatisation des mouvements d’écriture. Notre travail met ainsi en évidence que plus l’enfant grandit et pratique l’écriture, plus il/elle est capable de programmer des chunks d’informations plus importantes. Or, cette augmentation en taille de la mémoire procédurale n’est pas seulement quantitative, elle s’accompagne d’une gestion différentielle en fonction du type de stroke à réaliser. Le contenu du programme moteur ne se limiterait donc pas à des informations sur la forme, l’ordre et la direction des strokes mais détiendrait également des informations permettant la mise en place de stratégies cinématiques compensatoires pour des gestes spécifiques comme ceux de rotation et de pointage. Les programmes moteurs s’élaborent pendant le processus d’apprentissage, qui s’étale sur la période 6-7 ans. À partir de 8 ans, ces acquisitions commencent à s’automatiser avec la pratique et l’augmentation des capacités cognitives, attentionnelles et mnésiques. L’automatisation de l’écriture semble être acquise pour la plupart des lettres entre 9 et 10 ans, et devient alors un outil de communication langagière. Les implications de ces résultats sont directement applicables en milieu scolaire. === Written production is an automated motor activity for adults. Writing is smooth and fast because letter production relies on the prior activation of a procedural memory known as “motor program” or “sensori-motor map”. Our investigation focused on how motor programs develop during writing acquisition. We examined how writing evolved from stroke-to-stroke programming to letter-to-letter programming. In all our studies we recorded the children's writing movements with a digitizer. In the first experiment, 98 children aged 6 to 9 had to write letters of varying numbers of strokes. The results indicated that at ages 6-7, movement duration, dysfluency and trajectory increased with the letter’s number of strokes. The letters were produced by the activation of the first stroke, then the second stroke, and so on until the completion of the whole letter. The number of strokes affected much less the productions of the older children. They assembled the strokes into chunks, which gradually increased in size, until they could write, at the end of the automation process, with a letter-to-letter programming strategy. The analysis revealed that the first automatisms stabilized at age 8. However, some letters remained represented in chunks even among the older children. Specific types of strokes affected the stabilization of letter automation. We thus carried out another experiment to examine the impact of the rotation strokes that are necessary for the production of curved lines (e.g., to produce letter o) and the pointing movements that position the pen after a lift (e.g., to produce the dot on letter i). In the experiment, 108 children aged 6 to 10 wrote sequences of upper-case letters varying in pointing and rotation movements. The results indicated that the production of rotation movements required a speed trade-off to decrease differences between maximum and minimum velocities. Pointing movements required a duration trade-off between the movements executed on the sheet and in the air. There seems to be a sort of tempo for letter production that modulates letter production. This requires compensatory strategies that are cognitively demanding. At the developmental level, the kinematic data suggests that most of the learning process takes place between ages 6 to 8. Then there is stabilization phase that marks the beginning of writing automation. It evolves between ages 9 and 10. Our work thus revealed that as the child practices writing, the motor programs code increasingly bigger information chunks. This quantitative increase in procedural memory is also accompanied by qualitative information for certain types of strokes that require specific processing. Therefore, the content of motor programs is not limited to information about letter shape, stroke order and direction. Motor programs also code information on compensatory kinematic strategies for rotation and pointing movements. These motor programs are elaborated during the learning process between ages 6 to 7. At around age 8, with practice and the increase of cognitive, attentional and memory skills, they start to stabilize and become automated. At ages 9-10, writing is automated for most letters and becomes a linguistic communicational tool. The implications of these results are directly applicable in schools for the improvement of pedagogical tools in teaching writing.
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