Summary: | L’œuvre d’André Frénaud (1907-1993) se ressent profondément des convulsions de l’histoire contemporaine – essor des régimes totalitaires en Europe, Seconde Guerre mondiale, découverte des camps de la mort –, qui paraissent remettre en cause la possibilité même d’une signification de l’histoire et de l’action humaine. La pensée anthropologique exprimée dans les poèmes défend la capacité de l’homme à discerner et à faire le bien, sans rien ignorer de ses pulsions mauvaises ni de son manque à être. Les poèmes déploient une pensée du sujet originale, nourrie de philosophie heideggérienne, de mystique et surtout de l’analyse avec André Green et de la lecture de Dostoïevski : les tréfonds du moi abritent un grouillement de pulsions antagonistes. Frénaud, après Kojève, place l’homme et l’Histoire sous le signe de la négativité. L’éthique frénaldienne maintient conjointement la conscience de « notre inhabileté fatale » et la nécessité d’agir. L’existence de Frénaud atteste la même exigence : ainsi s’expliquent le ton des poèmes engagés, qui causa de vifs débats avec Aragon et Guillevic, et son attitude dans la cité, mêlée d’engagement et de retrait, comme au Comité national des écrivains (CNE) ou à la Comunità Europea degli scrittori (COMES), aux côtés de Sartre, Ponge et Tardieu. Enfin, les poèmes mettent en question les frontières et l’unité de la condition humaine. Un anthropomorphisme généralisé et une veine épique et mythique originale assurent l’unité du questionnement. Mais la condition humaine n’a pas la cohérence du concept : elle s’offre à la méditation du lecteur sous la forme d’une multitude de figures singulières qui invitent à un véritable exercice spirituel. === André Frénaud’s anthropology is profoundly impregnated with the upheavals of modern history, from the rise of totalitarian régimes throughout Europe to WWII and the discovery of death camps, all of which seem to question the remote possiblity of giving any meaning to History and human action. The anthropological thought expressed in his poems defends man’s ability to identify what is good and act accordingly, without ever overlooking any of his bad drives or his failure to truly be. His poems display an original conception of the self, inspired by Heidegger’s philosophy, mysticism, and above all by psychoanalysis with André Green and the reading of Dostoyevsky. Indeed, the depths of the self are teeming with antagonistic drives. After Kojeve, Frénaud places mankind and History under the sign of negativity. Frénaud’s ethics support both the awareness of « our fatal inability » and the need to act. Frénaud’s life proves the same dedication, and the tone of his committed poems – which caused heated debates with Aragon and Guillevic – can thus be explained, as well as his public presence, a mix of commitment and reserve, e.g. at the Comité national des Écrivains (CNE) or at Comunità Europea degli scrittori (COMES) with Sartre, Ponge, and Tardieu. Finally, his poems question the limits and unity of the human condition, while a pervasive anthropomorphism and an original streak, both epic and mythical, hold the questioning together. The human condition, however, is not as coherent as the concept. It becomes available to the reader’s meditation in the form of a multitude of characters which lead one to a spiritual exercise.
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