Summary: | Si les romans de Proust et de Sarraute divergent par leurs ambitions autant que par leur style, la mise au jour des interstices de la conversation permet d’affirmer l’existence d’une filiation esthétique reliant les deux auteurs. Il s’agit de segments au discours direct qui, dans l’intervalle entre les répliques, mettent en mots ce qui aurait pu être dit ou ce qui a été dit ailleurs ou en d’autres temps, pour commenter, illustrer ou compléter l’échange en cours. Proust et Sarraute étoffent ainsi les coulisses et les entours de la conversation jusqu’à déplacer l’attention des paroles prononcées à leurs résonances imaginaires. Cette étude combine une approche diachronique et une approche synchronique pour analyser les formes, les enjeux et les effets de cette pratique singulière, révélatrice des termes de la relation intersubjective que les œuvres de Proust et de Sarraute s’attachent à interroger. Notre hypothèse est que les interstices donnent à voir des projections fantasmatiques, qui ne sont pas seulement produites par l’interaction mais l’influencent et façonnent en retour la relation à l’interlocuteur. Conçus comme des proliférations inventives aptes à reconfigurer les termes de l’interaction, ils opèrent une mise en retrait dans le champ imaginaire qui, loin d’être synonyme de solipsisme, participe à la construction du lien intersubjectif. Ils constituent un espace privilégié pour se mettre à la place de l’autre, propice à l’examen de la vie psychique et des modalités de l’empathie. Enfin, ils engagent une définition élargie du réel, incluant le virtuel et le possible, et proposent au lecteur un laboratoire existentiel l’invitant à questionner ses propres inter-actions. === Even if the novels written by Proust and by Sarraute are very different by their ambitions and by their style, uncovering the interstices of conversation makes it possible to affirm the existence of a filiation connecting the two authors. This phenomenon includes direct speech fragments used to convey what could have been said, or what have been said in a different place or a different time. The ongoing interaction can thus be commented, illustrated or completed. This is how Proust and Sarraute develop what underlies and surrounds the actual conversation, to indicate that imagination is more important than words spoken out loud. Relying on a diachronic and on a synchronic approach, this research analyses the forms, the stakes and the effects of this particular pratice that sheds a new light on the intersubjective relationship at the heart of Proust’s and Sarraute’s works. We defend the idea that the interstices are fantasmatic projections, produced by the interaction, but also affecting it in return, giving shape to the relationship with the interlocutor. Considered as an inventive growth able to alter the terms of the interaction, this phenomenon involves a certain withdrawal but, far from being a sign of solipsism, is crucial to strengthen the relationship. It offers a chosen space to put oneself’s in someone else’s place, suitable to examine inner life and empathy at work. Finally, it implies a broader definition of reality, including what is virtual and possible, and offers an existential laboratory that encourages the reader to question his own inter-actions.
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