Summary: | Les conséquences de nos modes de production et de consommation sur l’environnement mondial sont reconnues et analysées depuis plusieurs décennies : changement climatique, effondrement de la biodiversité, tensions sur de nombreuses ressources stratégiques etc.Notre travail s’inscrit dans un courant de pensée visant à développer d’autres indicateurs de richesse. Dans une perspective de durabilité forte, nous nous concentrons sur une comptabilité biophysique (non monétaire), apte à pointer les externalités environnementales. Si une part importante des recherches dans ce domaine a été dédiée aux échelons nationaux, nous nous intéressons ici aux échelles locales, et en particulier aux régions françaises. Après avoir étudié les caractéristiques d’outils existants mobilisés dans les domaines de l’économie écologique et de l’écologie industrielle, comme l’Empreinte Ecologique, l’Analyse de Flux de Matières (AFM), l’Analyse de Cycle de Vie ou l’Analyse Entrée-Sortie, nous nous focalisons sur les filières de production que nous analysons à partir des quantités de matières qu’elles mobilisent au cours des étapes de production, transformation, transport et consommation. La méthode développée, AFM Filière, permet de produire des schémas de flux cohérents au niveau national, dans chaque région, et quand les données le permettent, à des niveaux infra-régionaux. Ceux-ci sont basés sur un processus systématique de réconciliation des données disponibles. Nous évaluons la précision de ces données d’entrée, ce qui permet de fournir des intervalles de confiance sur les résultats, pouvant à leur tour pointer vers des manques de connaissance. En particulier, nous fournissons une évaluation détaillée de la précision de l’enquête permanente sur le transport routier de marchandises (TRM), une pièce maîtresse de l’AFM Filière. Nous montrons au passage que réaliser le bilan matières sur une période de plusieurs années permet non seulement de s’affranchir du problème des stocks, mais aussi de réduire significativement l’incertitude sur les échanges entre régions. Nous adaptons par la suite la méthode des chaînes de Markov absorbantes pour tracer les flux jusqu’à leur destination finale et allouer les pressions sur l’environnement produites tout au long de la filière. Les flux de matières peuvent également être couplés à des modèles économiques afin de prévoir leur évolution en réponse à certaines politiques. En collaboration avec le Laboratoire d’Economie Forestière (LEF), nous fournissons ainsi la première tentative de représentation des flux sur la filière forêt-bois française, et analysons l’impact de différentes politiques de réduction des exports de bois brut sur l’économie et sur les flux physiques. Enfin, nous montrons comment il serait possible d’articuler ces analyses de filières avec les méthodes d’analyse qualitative déployées dans le domaine de l’écologie territoriale, et en particulier, l’analyse des jeux d’acteurs dans la filière. Nous situons notre travail dans le cadre normatif de la démocratie délibérative. A ce titre, nous réfléchissons aux apports de la comptabilité biophysique aux processus de décisions publiques incluant diverses parties prenantes. Nous dressons un panorama des modes de décision, des étapes clé d’un processus d’aide à la décision, des méthodes multicritères mais également des différentes formes que peut prendre la participation des citoyens. Nous proposons finalement une méthode d’aide à la délibération fondée sur l’élicitation de la satisfaction et du regret éprouvé par chaque partie prenante face à un futur donné. Celle-ci vise à organiser la discussion sur le mode du consensus apparent, qui facilite par nature le respect des minorités. Enfin, en partant des principales critiques adressées à la quantification, nous proposons en conclusion une réflexion sur les conditions qui permettraient de mettre la comptabilité écologique au service de l’émancipation démocratique. === The consequences of our modes of production and consumptions on the global environment have been recognized and analyzed for many decades: climate change, biodiversity collapse, tensions on numerous strategic resources etc. Our work follows a line of thought aiming at developing other indicators of wealth, alternative to the Growth Domestic Product. In particular, in a perspective of strong sustainability, we focus on biophysical (non-monetary) accounting, with the objective of pinpointing environmental externalities. A large part of existing research in this domain being targeted towards national levels, we rather focus on subnational scales, with on strong emphasis on French regions. With decentralization policies, these territories are indeed given increasing jurisdiction and also benefit from greater margins of action than national or international levels to implement a transition to sustainability. After studying the characteristic of existing tools used in the fields of ecological economics and industrial ecology, such as the Ecological Footprint, Material Flow Analysis (MFA), Life Cycle Assessment or Input-Output Analysis, we focus on supply chains that we analyze through the quantities of materials they mobilize during the production, transformation, transport and consumption steps. The method developed, the Supply-Chain MFA, provides coherent flow diagrams at the national scale, but also in every region and, when data allow it, at infra-regional levels. These diagrams are based on a systematic reconciliation process of available data. We assess the precision of input data, which allows to provide confidence interval on results, and in turn, to put the light on lacks of knowledge. In particular, we provide a detailed uncertainty assessment of the French domestic road freight survey (TRM), a crucial piece of the Supply-Chain MFA. By doing so, we show that undertaking the study on a period of several years not only solves the issue of stocks but also significantly reduces uncertainties on trade flows between regions. We then adapt the Absorbing Markov Chains framework to trace flows to their final destination and to allocate environmental pressures occurring all along the supply chain. For instance, in the case of cereals, we study energy consumption, greenhouse gas emissions, the blue water footprint, land use and the use of pesticides. Material flows can also be coupled with economic modeling in order to forecast how they will likely respond to certain policies. In collaboration with the laboratory of forest economics (LEF), we thusly provide the first attempt of representing the whole French forest-wood supply-chain, and we analyze the impact of a set of policies on both the economy and physical flows. Finally, we show the opportunities of linking these supply-chain results with qualitative methods unfold in the domain of territorial ecology, stakeholder analysis in particular. We situate our work in the normative framework of deliberative democracy and are therefore interested in the contributions of biophysical accounting to public decision processes that include diverse stakeholders. We propose an overview of decision modes, key steps of decision-aiding, multicriteria methods, but also of the various forms taken by citizen participation. We eventually design a deliberation-aiding method, based on elicitation of each stakeholder’s satisfaction and regret regarding a given future. It aims at organizing the discussion on an apparent consensus mode, which by nature facilitates the respect of minorities. Finally, based on the main criticisms addressed to quantification, we propose in conclusion thoughts on the conditions that could put biophysical accounting at the service of democratic emancipation.
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