Summary: | Fondé en 1997 par de jeunes économistes-financiers, à l’aube de l’expérience d’alternance consensuelle au Maroc et la fin du règne d’Hassan II (1961-1999), Le Journal (LJ ci-après) est considéré comme l’emblème de la presse dite indépendante de cette époque. En trouvant un rayonnement à l’étranger, son influence et sa visibilité vont au-delà des élites du Maroc. Les transformations survenues néanmoins sur la ligne éditoriale de cet hebdomadaire francophone, jugée critique vis-à-vis du Pouvoir par l’audace de ses dossiers et couvertures (monarchie, gouvernance, droits de l’Homme), donnent lieu à des crises de différente nature (procès, boycott publicitaire, gestion interne, etc.) qui débouchent sur sa fermeture par les autorités en janvier 2010, sous le règne de Mohammed VI, après une « vie » dense empreinte de rapports tantôt positifs tantôt négatifs avec le Pouvoir. Au lieu de proposer une seule perspective dans l’étude du LJ, cette recherche espère relever le défi d’offrir trois perspectives qui se complètent : par l’analyse de l’environnement externe du LJ (partie I), par l’étude de son pouvoir d’influence (partie II), et enfin par l’analyse de son environnement interne (partie III). La première partie part d’une énigme simple celle de savoir comment on peut passer au niveau des rapports sociaux (ici entre journalistes et politiques) de situations dans lesquelles on est plus ou moins « bien » entendu à des situations de « mal » entendu. À partir du concept de malentendu (V. Jankélévitch), nous verrons ainsi comment Le Journal, d’abord « bien-entendu », devient, au fil du temps, un titre « mal » entendu, à la fois par ses supporters et par ses adversaires. Si le concept de « bien-entendu » rend compte de ce qui a fait l’originalité et le succès du LJ, comme projet d’innovation, dans un contexte historique marqué par la libéralisation politique ; le malentendu lui est un malentendu d’ordre politique qui porte sur les représentations différentes qu’ont les journalistes et les Politiques de la « transition démocratique », leurs appréciations divergentes de la situation politique au Maroc ainsi que sur le rôle que la presse est censée jouer dans de pareils contextes. La deuxième partie, qui est peut-être l'originalité de ce travail, questionne le pouvoir d'influence des médias (du Journal) à travers les concepts de « compétence » journalistique (comme pouvoir adaptatif aux situations nouvelles), de « l’étiquette d’indépendance » (ce qu’elle permet en termes de visibilité/crédibilité) et enfin de « leadership médiatique » de l’éditorialiste et directeur de publication du LJ. Et elle entend souligner leur interdépendance. Enfin, la dernière partie, concernant la vie interne du LJ, s’appuie sur les acquis des sociologies du journalisme, de l’engagement-désengagement, du loyalisme et de la défection, pour interroger ce qui a amené des journalistes à « entrer », à « rester » et à « partir » du Journal. L’exit nous renvoie encore une fois, dans une espèce de boucle, au malentendu et nous conduit à défendre la thèse selon laquelle Le Journal a été, à son corps défendant, le promoteur du trône. Si cette entreprise de recherche a l’ambition d’être une « psycho-socio-anthropologie historique du journalisme politique », elle en appelle également à une libération épistémo-méthodo-logique. === Initiated in 1997 by young financial economists at the start of the experience of consensual alternance government in Morocco and at the end of the reign of Hassan II (1961-1999), Le Journal (LJ) is considered the symbol of the so-called independent press of that time. By finding an influential voice abroad, its weight and visibility goes beyond Morocco's elites. The transformations that still occurred on the editorial line of the weekly French newspaper were considered critical vis-à-vis the ruling power by the audaciousness of its topics and a la-Une coverage (monarchy, governance, human rights), gave rise to different crises in nature (trials, advertising boycott, internal management, etc.) that led to its closure by the authorities in January 2010, under the reign of Mohammed VI after a dense "life" impregnated with positive and negative relations with regime. Instead of proposing only one perspective in the study of LJ, this research hopes to meet the challenge of offering three outlooks that complement each other: by analyzing the external environment of LJ (Part I) by studying its influence (Part II), and finally by investigating its internal environment (Part III). The first part starts with a simple puzzle: how one can we move in social relations from (here between journalists and political) a situation of understanding to a situation of misunderstanding. Based on the concept of misunderstanding (V. Jankélévitch), we will see how well the Journal, first "well-understood," becomes, over time, a "misunderstood” newspaper, by both its supporters as well as its opponents. If the concept of 'understanding' reflects what made the originality and success of LJ as an innovative project, in a historical context marked by political liberalization on the one hand; on the other hand, the misunderstanding was a political misunderstanding which focuses on the different representations journalists and politicians made of "the democratic transition", their divergent assessments of the political situation in Morocco and the role that the press is supposed to play in such contexts. The second part, which is perhaps the originality of this work questions the power of influence of the media (le Journal) through the concepts of Media "competence" (as adaptive to new situations), of the " independent Label "(what it allows in terms of visibility / credibility) and finally "media leadership" of the columnist and the editor of the LJ. And intends to emphasize their interdependence. Finally, the last part concerns the internal life of LJ, builds on the achievements of the sociology of the press, of engagement-disengagement, of loyalty and defection to question what brought journalists to "enter", to "stay" or to "leave" Le Journal. The exit brings us once again to the misunderstanding and leads us to defend the thesis that Le Journal was, against its will, the publicist of the throne. If this research has the ambition to be a "psycho-historical anthropology of political Press," it also calls for a logical-epistemological-methodological liberation.
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