Summary: | Les publications de romans ou nouvelles en espagnol au cours des vingt dernières années ont fait émerger un engouement pour ce qui peut être considéré comme un sous-genre du roman historique, le roman de la mémoire. Celui-ci met en scène l’Histoire récente de l’Espagne en particulier celle de la Guerre civile. Les auteurs de ces ouvrages sont souvent nés dans les années 50 ou 60 et n’ont donc pas de mémoire directe des événements. Il est habituel de considérer que les romans Luna de lobos (1985) et Beatus Ille (1986), constituent des signes précoces de ce phénomène qui ne se généralise que dix ans plus tard et atteint son apogée au tournant du XXIème siècle notamment à partir de la parution de Soldados de Salamina de Javier Cercas en 2001. Pourtant, entre la fin du franquisme (1975) qui entraîne la disparition de la censure (1977) et 1985, des textes narratifs fictionnels majeurs portant sur la guerre et le franquisme, ont été écrits et publiés. Ainsi, Días de llamas de Juan Iturralde est édité en 1979 et Juan Eduardo Zúñiga publie Largo noviembre de Madrid en 1980. L’étude de ces deux œuvres permettra de mettre en question l’idée souvent exprimée que la littérature des premières années de la Transition n’a pas privilégié le thème de la guerre et de s’intéresser aux stratégies narratives choisies par ces auteurs, témoins directs des événements, pour mettre en fiction cette période noire de l’Histoire d’Espagne. Leur approche littéraire des faits est, en effet, nécessairement différente de celle des écrivains qui ont accepté la contrainte de la censure et de celle des générations suivantes qui n’ont qu’une mémoire indirecte de la guerre. Le traitement particulier que Juan Iturralde et Juan Eduardo Zúñiga réservent au référent et notamment la mise en place d’une illusion de réalité très forte les désignent à la fois comme des dissidents par rapport aux récits traitant du conflit publiés à la même période et comme des héritiers de la tradition réaliste qu’ils exploitent et dépassent dans le but de transmettre une version vraisemblable mais limitée car totalement médiatisée des événements survenus au cours des années 1936 à 1939. Malgré l’ancrage des intrigues dans un contexte historique précis, la réalité ne va pas toujours de soi dans les récits. Dans les circonstances extrêmes de la guerre, le réel est davantage un motif d’interrogations qu’un objet de connaissance univoque et définitive. Un seul élément ne fait jamais l’objet d’aucun questionnement : l’horreur du conflit civil dont la mise en fiction est pleinement apte à traduire la dimension problématique du réel. De par le thème qu’elles abordent et les distances qu’elles prennent avec la volonté d’amnésie collective qui s’est pernicieusement installée en Espagne, les deux œuvres deviennent des « lieux de mémoire » susceptibles de permettre la revendication de l’importance du « devoir de mémoire », la réhabilitation de mémoires marginales trop longtemps réduites au silence et la résilience de certains traumatismes grâce à la fictionnalisation des désordres psychiques liés à l’horreur du conflit. === Novels or short stories published in Spanish over the last twenty years have revealed a keen interest in what can be considered as a subgenre of the historical novel, the novel for the memory. This subgenre stages the recent History of Spain, particularly the Civil War. Its authors were born in the 50s or 60s, and have no direct memory of the events. It is usual to consider that Luna de lobos (1985) and Beatus Ille (1986) are the novels showing early signs of this phenomenon, which only became widespread ten years later and peaked at the turning point of the 21st century, in particular after the publication of Soldados de Salamina by Javier Cercas in 2001. Nevertheless, between the end of the Francoism in 1975 which led to the disappearance of censorship in 1977 and 1985, several fictional narrative texts relating the war and the Francoism were written and published. Días de llamas by Juan Iturralde was edited in 1979 and Juan Eduardo Zúñiga published Largo noviembre de Madrid in 1980. The study of these two books will question the often expressed idea that the literature from the first years of the Transition period did not favor the theme of war. It will also focus on the narrative strategies that these authors, who were direct witnesses of the events, chose in order to fictionalize this period from the History of Spain. Indeed, their literary approach to the facts was inevitably different from that taken by the writers who accepted being restricted by censorship and that taken by the following generations who only indirectly experienced the war. The particular treatment which Juan Iturralde and Juan Eduardo Zúñiga reserved to the referent, in particular the setting of an illusion of reality, denotes them both as dissidents compared to the narratives about the conflict published during the same period, and as heirs of the realistic tradition which they exploited and surpassed in order to relate a plausible but limited version of the events taking place from 1936 to 1939, due to their subjective perspective. In spite of the intrigues being anchored within a precise historical context, the reality is not necessarily self-evident in these narratives. In the extreme circumstances of war, the reality becomes a motive for questioning rather than an object of unequivocal and irrevocable knowledge. A single element is never questioned: the horror of the civil conflict whose fictionalization is fully able to translate the problematic dimension of reality. By the theme addressed by these books and the way they distanced themselves from the will of collective amnesia which has perniciously settled in Spain, they both have become “commemorative sites”, leaning toward the claim for the importance of the “duty of remembrance”, the rehabilitation of marginal memories which has been silenced too long, and the resilience of various traumas through fictionalizing psychic disorders caused by the horror of this conflict.
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