Summary: | Traduire en littérature d’enfance et de jeunesse place le traducteur au sein d’un paradoxe : il doit faire avec la longue tradition d’effacement de sa présence au service du texte d’origine, et avec celle d’une prise en charge bienveillante, souvent bienpensante, du public jeune. Passeur ou prescripteur : le traducteur se réduit-il à cette vision dualiste ? Notre étude envisage une autre approche théorique et pratique à partir d’un corpus anglophone de textes pour la jeunesse allant du XIXe au XXIe siècle. Cette catégorie littéraire se décloisonne actuellement au sein de la littérature : ceci permet de ne plus concevoir sa traduction comme une traduction de spécificité et de s’affranchir d’une tradition cibliste qui en vient à effacer l’altérité des œuvres. Il ne s’agit pas pour autant de nier l’existence de questions plus spécifiques à ce domaine, mais de faire valoir sa complexité et sa richesse à travers l’espace de jeu de sa traduction, construit autour d’un jeu langagier qui interroge notre relation au langage, à l’identité et à l’altérité. À l’invitation de Berman et Meschonnic, le traducteur élabore une approche traductive réfléchie, à l’écoute de cette « écriture pour l’oreille » (Nières-Chevrel) qu’est la littérature pour la jeunesse. Cette approche nécessite une implication du traducteur-sujet, conscient des limites et des possibilités qui accompagnent sa subjectivité. On ne parle plus d’effacement, mais du traducteur revêtant sa cape d’invisibilité : faussement fantomatique, pleinement présent, il négocie entre les cultures, les langues, les lectorats. Notre thèse s’inscrit dans cette optique et allie pensée de la traduction, étude et traduction des œuvres sélectionnées. De cette expérience émerge un constat : traduire en littérature d’enfance et de jeunesse nous ramène finalement au statut d’enfant (re)découvrant le langage, la construction de l’individu et la relation à soi et à l’autre. === Translating children’s literature can be paradoxical for translators: they have to deal with the long tradition of the self-effacing translator serving the source text, and with a tendency to cater for the young readership in a benevolent, often conformist way. Our thesis looks beyond this dualistic view and shows another theoretical and practical approach based on a selection of texts from English-language children’s literature, from the XIXth century onwards. Children’s literature is seen more and more as a part of literature in general, which makes it possible to no longer see its translation as specific and target-oriented, something that tends to erase the otherness within the texts. If some elements are indeed more specific to the translation of children’s literature, this thesis aims at underlining how rich and complex this literature is thanks to translation, which makes us reconsider our relation to language, identity and otherness. Following Antoine Berman and Henri Meschonnic, translators must think their practice and build a theory paying particular attention to the inherent orality of children’s literature. Translators have to involve themselves in their work while being aware of the limitations and possibilities linked to their subjectivity. The translator’s invisibility is a chosen and playful one, using the metaphor of the invisibility cloak, which they can put on and remove as they please, while they negotiate between cultures, languages and readerships. Elaborating on this image, our thesis links the theory of translation with the study and the translation of our primary corpus, and draws a conclusion: translating children’s literature assimilates the experience of the translator to the one of the child (re)discovering language, identity and otherness.
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