La mendicité des élèves coraniques en milieu urbain au Sénégal

Historiquement, les écoles coraniques sénégalaises (Daaras) sont majoritairement rurales. Les dégradations environnementales et la faillite des politiques agricoles ont appauvri le monde paysan et causé le déplacement de ces écoles vers les villes. Idéologiquement, un parent confie son enfant, l’élè...

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Bibliographic Details
Main Author: Niang, Pape Momar
Other Authors: Toulouse 2
Language:fr
Published: 2013
Subjects:
Online Access:http://www.theses.fr/2013TOU20082
Description
Summary:Historiquement, les écoles coraniques sénégalaises (Daaras) sont majoritairement rurales. Les dégradations environnementales et la faillite des politiques agricoles ont appauvri le monde paysan et causé le déplacement de ces écoles vers les villes. Idéologiquement, un parent confie son enfant, l’élève (Talibé) à un maître coranique (Marabout). Ce dernier détient une autorité inconditionnelle sur l'enfant qui doit vivre humblement et se soumettre à une discipline rude. Cette interprétation coranique ajoutée à la valeur de l’aumône (Zakât) légitimise la mendicité des Talibés. Elle devient très urbaine à partir de la découverte par les maîtres coraniques d’une offre d’aumône monétaire citadine. Ce marché de l’aumône urbain, du don religieux, de l’offrande, du sacrifice résulte d'une grande offre d’aumône de citadins aux rapports sociaux monétarisés ; et aux religiosités incluant plus largement la dimension du don matériel. La thèse explore cette dimension marchande du don. Elle part du postulat que la mendicité des Talibés résulte de cette offre d’aumône urbaine à laquelle vient s’ajuster une demande. On retrace un processus migratoire superposant 4 logiques : Un don 1 immatériel et symbolique qu’est le « confiage » au maître coranique d’un enfant par ses parents ; un don 2 matériel et temporaire , sous forme de prêt foncier, qui met en relation un donateur propriétaire en ville d’une maison en chantier ou d’un terrain, et un maitre coranique donataire en quête d’hébergement pour ses Talibés ; un don 3 matériel où des citadins prennent en charge les besoins primaires des enfants ; enfin un don 4 purement monétaire où à travers l’obligation de l’enfant de rapporter une somme quotidienne d’argent au maître coranique (Sass), le Marabout le désigne donataire-intermédiaire . Cette dernière logique cristallise beaucoup plus les enjeux de la mendicité infantile. Un second système de don institutionnel vient se superposer à ce premier religieux. Il s’agit de la mobilisation de moyens par la société civile et l’État, pour éradiquer le problème. Ce marché parallèle de l’aide humanitaire au-delà des considérations sur les nombreuses actions concrètes d’aide qu’il produit, peut aussi quelque fois se coconstruire avec le marché de l’aumône religieux. C’est là où apparait un don 5 qui est l’aide internationale aux organismes de lutte contre cette mendicité ; et un don 6 constitué par l’aide de ces organismes aux écoles coraniques. En analysant un modèle de démantèlement des écoles coraniques par ces organismes qui financent un retour à l’agriculture des maîtres coraniques par exemple, on se rend compte très vite que le don 6 peut pervertir le don 1 initialement désintéressé matériellement, d’un parent qui confie son enfant symboliquement : une dimension de trafic et d’exploitation des enfants tend à supplanter celle éducative. Cette recherche a été menée dans quatre villes et six villages entre le Sénégal et la Guinée-Bissau. Une enquête par questionnaire a été effectuée auprès des enfants mendiants ; l’approche qualitative a été privilégiée concernant les acteurs ruraux et les enquêtés adultes. La thèse montre globalement que la non-résolution du problème résulte de différentes stratégies des acteurs concernés qui tendent à l’alimenter (volontairement et involontairement) et maintenir deux systèmes de donation qui s’auto-régulent. Cette analyse systémique , semble beaucoup mieux pertinente que celles causales linéaires qui amputent le phénomène de plusieurs de ses dimensions immergées : Une genrée et démographique étant donné la condition de la femme rurale et les forts taux de natalité ; une crise agricole et environnementale qui impose des logiques de survie de groupe ; ainsi qu’une frilosité Étatique à éradiquer le problème, entre injonctions internationales, impuissance budgétaire et considérations électoralistes vis-à-vis des pouvoirs musulmans. === Historically, Senegalese Quranic schools (Daaras) are predominantly rural. Environmental degradation and the collapse of agricultural policies have impoverished the peasant world and caused the schools to move to the cities. Ideologically, a parent entrusts his child, the student (Talibé) to a Koranic teacher (Marabout). The latter has unconditional authority over the child who must live humbly and submit to harsh discipline. This koranic interpretation added to the value of the alms (Zakât) legitimizes the begging of the Talibés. It becomes very urban from the discovery by the Koranic teachers of a supply of urban monetary alms. This market of urban alms, religious gift, offering, sacrifice, results from a large offer of alms from townspeople to monetarized social relations; and to religiosities including more broadly the dimension of the material gift. The thesis explores this market dimension of the gift. It is based on the assumption that the begging of the Talibés results from this offer of alms to which a demand has been adjusted. We retrace a migratory process superimposing 4 logical: A symbolic and intangible gift 1, that a parent gives his child to a Koranic teacher; a material and temporary gift 2, in the form of a land loan, which connects a donor who owns land in the city of a house under construction or a piece of land, and a Quranic master who has made a home in search of accommodation for his Talibés; a material donation 3, where city dwellers take care of the primary needs of children. And finally a purely monetary gift 4, where by the obligation of the child to bring a sum of money daily to the Quranic master (Sass), the Marabout designates him as intermediary-beggar. This last logic crystallizes much more the stakes of infant begging. A second system of institutional donation is superimposed on this first, religious. It is the mobilization of means by the civil society and the State, to eradicate the problem. This parallel market of humanitarian aid, beyond considerations of the many concrete aid actions it produces, can also sometimes be co-constructed with the market of religious alms. This is where a donation 5 comes which is international aid to the organizations fighting against this begging; and a gift 6 constituted by the help of these agencies to Koranic schools. By analyzing a model of the dismantling of Koranic schools by these organizations that finance a return to agriculture of Koranic masters for example, we realize very quickly that the gift 6 can pervert the gift 1 initially disinterested materially, a parent who entrusts his child symbolically: a dimension of trafficking and exploitation of children tends to supplant the educational one. This research was conducted in four towns and six villages between Senegal and Guinea-Bissau. A questionnaire survey was conducted among begging children; the qualitative approach was favored for rural actors and adult respondents. The thesis shows globally that the non-resolution of the problem results from different strategies of the actors concerned who tend to feed it (voluntarily and involuntarily) and maintain two systems of donation that self-regulate. This systemic analysis seems much more relevant than the linear causal ones, which reduce the phenomenon of several of its immersed dimensions: A gender and demographic given the condition of the rural woman and the high birth rates; an agricultural and environmental crisis that imposes group survival logics; as well as a reluctance of the state to eradicate the problem, between international injunctions, budget impotence and electoral considerations vis-à-vis the Muslim powers.