Summary: | Ces quarante dernières années, Louise Glück a su s’imposer dans le paysage de la poésiecontemporaine américaine sans que l’on ait jamais pu l’assigner à quelque genre que ce soit. Sa poésie déroute car traversée par le féminin, elle s’obstine pourtant à lui résister. Le moi glückien se dissimule derrière des masques plus ou moins opaques : des personae de la mythologie telle Perséphone auxmasques sournoisement transparents du recueil Ararat, sa voix poétique se fait plurielle mais singulière, celle d’un moi qui parle, toujours en proie au désir. Glück édifie dans chacun de ses recueils un réseau de paradigmes où la mémoire coexiste avec l’oubli, où la domesticité s’oppose à l’ailleurs hostile, où le mythe et l’ordinaire se confrontent et se confondent.Louise Glück esquive ces structures paradigmatiques à travers une poétique épurée et une ponctuation qui obscurcissent et diffèrent le sens jusqu’à l’éluder. L’entre-deux que son oeuvre explore forme à la fois un interstice et une béance : ce peut être la fissure d’Averno, la crevasse du deux-points ou le silence de Dieu dans The Wild Iris ; le milieu qui nous sépare de l’autre et de nous-mêmes et qui, simultanément, nous lie inextricablement à eux. Nous appelons ce milieu pluriel le neutre, concept que nous devons à Roland Barthes qui lui a consacré un cours au Collège de France en 1977-1978. Nous nous sommes inspirés de son approche pour lire la poésie de Glück, dont les personae sont habitées par un désir qui est, chez le poète, un désir d’écriture pour surseoir à la mort : un désir de neutre. === For forty years now, Louise Glück has been a major figure in contemporary American poetry, particularly because her poems shun the obvious and the lyric genres as we know them. If her poetry give the feminine to read, her work resists and endures it as a genre. The various masks the poet puts on may often seem transparent, but the poetic voice remains that of a persona, be it Persephone or even the ones in Ararat, her most life-inspired collection. Many and different are the faces to people her work, but behind the mask, Glück’s remains unique: her voice can be described as Dickinsonian in its bareness and subversive imagery: disguised as a desiring I, the impersonal threatens. Throughout her work, Glück has drawn a web of paradigmatic oppositions, only to be ‘baffled’: memory coexists with oblivion, the safe and cozy home is opposed to the dangerous outside world, the mythic and the mundane are intertwined in Meadowlands.Louise Glück evades and outplays the paradigm thanks to a bare language and a choice of punctuation, which darken and delay meaning to the extent of eluding it. Her poems explore an inbetweenness, which assumes the shape of a Freudian rift in Persephone’s soul, or of God’s silence to His creatures’s prayers in The Wild Iris. We are naming such in-betweenness the Neutral, a theory the French literary theorist and semiotician Roland Barthes exposed in a lecture course at the Collège de France in 1977-1978. The Neutral is the desire and its intensity, it is what parts us from the other and from ourselves, what intimately binds us together. Our reading of Louise Glück’s poetry was firstly inspired by Barthes’s theory. We see in her work a desire for the Neutral which translates as a desire for the poet to write, and relentlessly defer the instant of death.
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