Summary: | La différence entre Dieu et un chirurgien, réplique-t-on classiquement à celui-ci lorsque il s'estime comme créateur de son opéré, c'est que Dieu, lui, ne se prend pas pour un chirurgien. Qu'y a-t-il dans cette action qui soit si spécifique que son agent, le chirurgien, puisse à ce point risquer de s'idolâtrer ?Il semble bien, tout d'abord, qu'il y ait dans la chirurgie une réelle dimension religieuse c'est-à-dire un rapport certain avec le sacré – l'interdit –, ce que l'on ne doit pas profaner. Le questionnement sur le chirurgien et la chirurgie éclaire cet aspect. Si tout chirurgien est d'abord un médecin, et comme tel s'il a bien pour mission de soulager une personne humaine lorsqu'elle est affectée par la maladie ou le traumatisme, pour autant son mode « opératoire » est particulier. La chirurgie, malgré la prégnance de plus en plus forte de l'appareil techno-scientifique à son service, reste encore une activité manuelle et particulièrement immédiate. Elle nécessite certes une connaissance scientifique, mais sa technicité se nourrit de l'expérience pratique. C'est ici qu'elle recèle l'autre dimension sacrée que représente le sacrifice, de manière sans doute plus aboutie que la médecine purement clinicienne. Mais elle est surtout agressive, parce que douloureuse et sanglante, et transgressive, parce qu'elle autorise son agent à inter-venir, à rentrer dans un corps humain. Cette intervention ne se fait jamais sans un rituel quasi religieux qui semble attester de la sacralité de son champ : le corps-personne de l'opéré. Malgré la profonde influence de la Modernité qui, avec Descartes en particulier, vise à dissocier radicalement le corps de l'esprit, une analyse rigoureuse de la pratique chirurgicale tend à infirmer cette illusion, même s'il y a nécessité d'objectivation pour parvenir à assumer la transgression qui consiste à ouvrir un corps. La phénoménologie nous éclaire sur la subjectivité transcendantale du chirurgien qui, en même temps qu'il vise son opéré comme l'objet de son faire, ne peut pas être complètement extérieur à cet opéré et à son intervention. Le chirurgien ne saurait être le simple réparateur d'un objet, ni même un vétérinaire, obligé qu'il est de par la spécificité morale de l'être humain qu'il prend en charge. Il devient alors plus que la cause efficiente de l'opération chirurgicale, pour être nécessairement concerné par sa finalité. Cette obligation de viser à la restauration du pouvoir-être au monde de son opéré, plus que de le re-mettre dans une norme arbitraire, fait en effet de la chirurgie une action morale. Car oublier cette finalité, cherchant à s'exonérer de cette responsabilité qui dépasse le pur faire, ce serait réduire la chirurgie à une simple fabrication. La démesure alors guetterait celui qui pourrait se prendre pour Dieu, mais au mauvais sens du concept, puisque s'ouvriraient subrepticement les portes de la barbarie. Etre instrumentalisé par le désir jamais assouvi de son patient, comme être prisonnier de sa pure technicité, sont alors les deux écueils, intimement liés, qui empêchant le chirurgien de décider, ferait perdre toute dimension morale à son action. D'autant que le lent « désenchantement du corps » présent dans nos sociétés occidentales contemporaines, semble participer de ce déni. La question de la contribution de la chirurgie au vaste désir de transformation de l'homme, véhiculé par le transhumanisme, s'abreuve peut-être à la source d'une insidieuse barbarie.Retrouver la nature spirituelle de l'homme reste alors sans doute le point d'appui le plus sûr pour parer à une telle dérive, en sacralisant ainsi, et la personne de l'opéré, et le geste d'y intervenir, lui rendant peut-être son véritable sens._____ === At the question what is the difference between God and a surgeon when the latter thinks he is the creator of his patient, we usually answer that God does not think he is a surgeon. However it seems there is a spiritual/religious dimension in the act of surgery, meaning there is a definite link with what is sacred, forbidden, what should never be defiled. If each and every surgeon is a doctor before being anything else, and as a doctor his role being to relieve a human person affected by a disease or a trauma, his way of 'operating' is particular. Despite the imposing help of science-technology, surgery is still a manual activity that is particularly immediate. And above all it is very aggressive, because it causes pain and blood is involved, and transgressive because it allows his representative to 'step in' the human body.This intervention always happens with a lot of almost religious rituals that certifies the sacredness of the field/subject : the body-person belonging to the operated. Despite the profound influence of the Modernity that particularly for Descartes aims for a completely dissociation between the body and the spirit, a drastic analysis of the surgical practice tends to invalidate this illusion, even though there is a need to objectify the subject to be able to undertake the infringement of opening a human body. The surgeon could never simply be fixing an object or even be a veterinary, because he is obligated to respect the moral specificity of the human being he is in charge of. More than putting the person back in an arbitrary standard, this duty of aiming for the re-establishment of 'being able to be' in the world of the person operated, makes surgery an ethical act. Because trying to forget that intention by exonerating oneself of this responsibility that goes beyond the simple action, would reduce surgery to a plain manufacturing. But one must be careful of the exaggeration of believing he is God in the wrong way because it might allow the doors of savagery to slowly open.The transhumanism carrying the question of the contribution of surgery to the wide desire to transform the human being, might takes its source from an insidious savagery. Finding the spiritual nature of the human being is then definitely the starting point to ward off such a drift, keeping the person who is operated and the act of operating sacred.
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