Summary: | Délaissée par les théoriciens pour la notion plus large d'incipit, il semble pourtant acquis que la première phrase d'un roman est spécifique. À l'aide des outils de la linguistique et dans une approche centrée sur le lecteur, on a voulu caractériser cette spécificité ressentie, identifier ses causes et ses effets. Le matériel est un corpus de 402 premières phrases tirées de romans publiés de 1980 à 2011, rédigés en langue anglaise. Penser le commencement est un défi pour la cognition. Le début de roman rejoue ses problématiques et met face à l'arbitraire indépassable de toute création. Le passage du discours ordinaire au discours fictionnel pose la question du statut logique de la fiction et fait apparaître la première phrase comme le seuil critique où s'articule un dialogue entre réalité et fiction. La théorie littéraire et le structuralisme attribuent des fonctions (programmation, codification) au commencement. La première phrase inaugure un espace énonciatif ludique et est le lieu d'un transfert d'autorité énonciative de l'auteur au narrateur. Elle construit le cadre énonciatif et narratif du récit, mais aussi ses premiers contenus, dont le lecteur élabore des représentations mentales. L'étude de l'anatomie du corpus révèle un manque de spécificité grammaticale, le jeu consistant à faire comme si la phrase n'était pas la première. En résulte une énigme, dont la résolution détourne à des fins ludiques les fonctions cognitives habituellement dévolues aux problèmes sérieux. Ce piège séductif explique le phénomène d'immersion fictionnelle, dont on explore également le versant esthétique. La spécificité de la première phrase de roman est avant tout cognitive et affective. === Despite being neglected by theorists for the larger notion of incipit, it is generally accepted that the first sentence of a novel is special. Taking the point of view of the reader, this dissertation aims at characterizing this specificity and identifying its causes and effects, using the tools and concepts of linguistics. 402 first sentences were studied, taken from novels published from 1980 to 2011 and written in English. Beginnings are cognitive non-sense. The opening sentence inherits this specificity and places the reader in front of the arbitrariness inherent to creation. The emerging fictional discourse also raises the question of its logical status and makes the opening sentence appear as a hinge between reality and fiction. For literature theorists and structuralists, beginnings have functions (programmatic, codifying). Also, the first sentence is often seen as a crucial brick in the fictional apparatus. It is the opening fringe of a new speech territory, ie a game one, and the edge where enunciative authority is being transferred from the author onto the narrator. It sets the enunciative and narrative frame-work of the story, as well as its first contents, of which readers elaborate mental representations. A study of the anatomy of the corpus reveals its lack of grammatical specificity, part of the game being for the opening sentence not to appear as such. The result is an enigmatic sentence which, for the purpose of the game, hijacks cognitive functions meant for serious matters. This cognitive hijacking is a seduction, it facilitates fictional immersion, which also is an aesthetic experience. The specificity of the first sentence is cognitive and affective.
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