Summary: | Dans un contexte de complexité territoriale où les référents spatiaux se multiplient, se fragmentent, se recomposent et entrent en concurrence, aborder la question de la territorialisation culturelle comme un processus communicationnel est le moyen par lequel ce travail contribue à la réflexion sur les phénomènes de requalification et de recomposition des territoires. Par emprunt de la notion de territorialisation à la Science politique et à la Géographie, notre posture s’appuie sur une boîte à outils (théorique et méthodologique) capable de construire un regard oblique dont le principe est celui de l’indissociabilité des composants d’un même phénomène. En effet, l’originalité de cette recherche se situe principalement dans l’articulation d’approches habituellement considérées comme irréconciliables étant donné le caractère polyphonique des discours qui participent de cette poïétique territoriale – les modalités de la (re)génération d’un territoire – : l’approche identificationnelle matérialisée par les discours des acteurs politiques, et l’approche appropriationnelle qui s’intéresse aux récits de pratiques territoriales des habitants et des usagers. L’enjeu scientifique de cette thèse réside donc dans la compréhension du fonctionnement de ce processus communicationnel et de sa capacité à enchanter, par la médiation des discours, un espace intercommunal.Pour la compréhension de ce processus, nous avons pris appui sur le cas d’Ouest Provence, ancienne « ville nouvelle » située sur les rives de l’étang de Berre, au nord-ouest de Marseille, marqué par une imposante activité industrielle et polluante. Cette agglomération se trouve aujourd’hui dans une phase de normalisation, après avoir bénéficié, pendant quarante ans, du régime exceptionnel de ce projet de développement urbain initié et soutenue par l’État. À partir d’une approche ethno-sémiotique, nous avons constitué et analysé un corpus hétérogène de discours circulants (discours d’inauguration de l’identité nouvelle d’Ouest Provence, extrait du numéro inaugural du journal intercommunal, toponyme, logotypes, programmes et éditoriaux de saison de la régie culturelle SCOP), et de discours provoqués (entretiens ethnographiques auprès des acteurs politiques, administratifs et culturels, et auprès des spectateurs-abonnés de la régie culturelle SCOP). L’objectif étant de mettre au jour le travail d’obturation d’une partie du champ de vision de l’habitant et de l’usager que mènent les acteurs politiques, par une restructuration de leurs pratiques ou du moins de leurs effets, afin d’enchanter leur imaginaire territorial. Et c’est par l’intermédiaire d’un opérateur, le dispositif de la régie culturelle Scènes et Cinés, que se met en place cette stratégie. Effectivement, la pratique de sortie au théâtre est donc décrite comme une pratique de mobilisation des habitants et des usagers de manière à leur faire-croire en cette « communauté imaginée » qu’incarne Ouest Provence. Mais à côté de ces discours d’élus, l’analyse des récits des pratiques des abonnés de Scènes et Cinés laisse entrevoir une territorialité dont les trois régimes que esquissés (le sentiment du chez-soi, l’engagement, et l’attachement à un être-ensemble) sont motivés par un rapport sensible au territoire. Cette dimension de la pratique de sortie au théâtre nous semble fondamentale en ce qu’elle révèle la nature du rapport individuel et collectif des spectateurs à leurs espaces de pratiques culturelles qui est, avant tout, façonné par la sensation et l’émotion. La territorialité spectatorielle constitue ainsi une expérience qui participe, tout au moins momentanément, du processus d’enchantement territorial. === Our research contributes to the understanding of a requalification and reorganization phenomenon by questioning cultural territorialization as a communicational process, in a context of territorial complexity where spatial referentials are multiplied, split up, recomposed and brought to compete with one another. Borrowing from the notion of territorialization as found in political sciences and geography, our posture is supported by a theoretical and methodological personal construction that enables us to build an oblique view point, the principle of which is the indivisibility of the above mentioned phenomenon’s components. Indeed, the originality of this research lies mainly in the combining of different approaches usually considered irreconcilable, given the polyphonic character of the discourses that participate in territorial poïetics - conditions of (re)generation of a territory - : the identification-based approach formed by political actors’ discourses, the function of which is the production and the circulation of standards and values in the public space, and the appropriation-based approach which is interested in the narrative given by inhabitants and practitioners of their territorial practices. The scientific argument of our thesis lies in the understanding of how this communicational process functions and its capacity to “enchant” an inter-communal space that becomes meaningful again, through the mediation of a series of discourses.In order to understand this process, we have used, as a case study, the urban community of Ouest Provence, which had the status of a “new town”, and thus benefitted for forty years, from major state development policies. This urban area, on the banks of the Etang de Berre, north west of Marseilles, where France’s major oil refineries, gaz and petro-chemical factories are located, is marked by this impressive industrial activity and the image of pollution that it gives. The Ouest Provence area is about to be “normalized”, by becoming an ordinary group of smaller towns with a new inter-communal status. From an ethno-semiotic approach, we have constituted and analyzed a heterogeneous corpus of circulating discourses (inaugural speech for Ouest Provence’s new identity, excerpts from the inter-communal newspaper inaugural issue, toponyms, logotypes, programs and editorials taken from the Scènes et Cinés’ cultural season) and instigated discourses (ethnographical conversations with political, administrative and cultural professionals and with the Scènes et Cinés’ spectators-subscribers). The intention was to bring to light the attempts by the political actors to modify the representations that local inhabitants and users have of their territory by restructuring in particular their theatre practices in order to re-enchant their territorial imagination. It is through an operator, the device of the cultural institution Scènes et Cinés, that this strategy is set up. The practice of theatre-going is thus described as a practice of mobilization of the inhabitants and the users so as to make them believe in this “imagined community” that the Ouest Provence embodies. The analysis of the practice narratives of the Scènes et Cinés subscribers gives us a glimpse of a territoriality where three aspects which we highlighted (the feeling of being at home, the commitment to the theatre, and the attachment to a sort of togetherness in this practice) are motivated by an emotional relationship to the territory. This theatre-going dimension seems to us fundamental, as it reveals all the complexity of the spectators’ relationships with each other and with the spaces linked to their cultural practices, which are particularly shaped by both individual and collective sensations and emotions. So, such a spectator experience is involved, at least temporarily, in the process of territorial enchantment.
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