Summary: | Cette thèse revient sur les caractéristiques des conflits armés éthiopiens contemporains(nature et manifestations) à partir d’une réflexion sur la trajectoire historique de l’État,héritier de l’empire construit par Ménélik II à la fin du XIXe siècle et dont les frontièresn’ont que peu varié depuis (hormis l’indépendance de l’Érythrée en 1993). L’expérienceimpériale est également à l’origine d’une perception de l’espace politique éthiopien entermes de « centre » et de « périphérie ». Perception qui demeure dominante au sein desétudes éthiopiennes, notamment dans l’étude de conflits perçus comme opposant le« centre » (assimilé à l’« État moderne ») à ses « périphéries » conquises durant la périodeimpériale (assimilées aux « sociétés traditionnelles »). La réflexion est donc construite àpartir de l’articulation des trois grands thèmes suivants : la formation de l’empire et del’État éthiopien, les conflits armés, et le thème centre-périphérie. Le thème centrepériphériese situe en effet au coeur des interprétations de la formation des empires etdes États. Le rapport entre ce deux thèmes (formation de l’État et thème « centrepériphérie») est ici reformulé à partir des notions de « secteur politique central » et de« secteur politique périphérique » (Coulon 1972). L’État est alors défini comme unprocessus historique produit par la formation (formelle, symbolique et cognitive) de cesdeux secteurs politiques central et périphérique. Ces deux secteurs interdépendants, dontles caractéristiques évoluent en fonction des reconfigurations économiques, sociales etpolitiques, sont à comprendre au sein d’un même ensemble produisant l’État éthiopien etson identité, sa nation.Cette thèse analyse donc le rapport entre la formation de ces deux secteurs politiques etles conflits armés en vue d’en offrir une grille de lecture renouvelée et dépassant lalecture dominante opposant le « centre » à ses « périphéries ». L’étude de trois régionsconflictuelles (Érythrée, Gambella, Afar) et de leur rapport à l’État éthiopien font alorsapparaître non plus une, mais trois grandes tendances de conflit (toujoursinterdépendantes et parfois cumulatives), à savoir : le conflit entre les deux secteurspolitiques, le conflit à l’intérieur du secteur politique central, et le conflit à l’intérieur dusecteur politique périphérique. Enfin, ce travail défend l’idée selon laquelle ces conflitsémanent d’une double crise de l’État éthiopien : une crise « de » l’État (remise en cause del’État éthiopien lui-même), et une crise « dans » l’État (remise en cause du régime et dugouvernement éthiopien, mais pas de l’État en lui-même). De cette double crise, héritéede la période impériale et qui éclot lors du Second règne d’Hailé Sélassié (1941-1974),dérivent les conflits éthiopiens contemporains. === This work deals with contemporary Ethiopian armed conflicts (nature and forms) out of areflexion on the state trajectory. The Ethiopian state is to be studied in the continuity ofthe empire built by Menelik II at the end of the XIXth century, whose borders haveremained almost unchanged since then (except the Eritrean independence in 1993). Theparticular perception of the Ethiopian political space studied in terms of “centre” and“periphery” is also embedded in this imperial period. A perception which remainscharacteristic of Ethiopian studies, considering the Ethiopian armed conflicts as opposinga “centre” (considered synonymous with “modern state”) to its “peripheries” inheritedfrom the imperial conquests (seen as “traditional societies”). The thesis is thus built outof these three following themes which represent the core of the reflexion: the Ethiopianempire- and state formation, armed conflicts, and the centre-periphery relation. In fact,the centre-periphery relation has been determinant in the theories dealing with empiresandstate-formation. Here, I aim at redefining the relationship between state-formationand the centre-periphery theories by using the notions of “central political sector” and“peripheral political sector” (Coulon 1972). The State shall then be considered as ahistorical process produced by the formation (formal, symbolical, and cognitive) of thesesectors. The sectors are dependent of each other and their characteristics derive fromconstant economic, social and political reconfigurations. They shall be considered in asame whole which produces the Ethiopian state and its identity, its nation.The thesis analyses the relationship between the formation of these two political sectorsand armed conflicts in order to rethink the dominant view considering conflicts as acentre conflicting against its peripheries. Illustrated by the study of three regions (whichhave been experiencing armed conflicts since the imperial period, i.e. Eritrea, Gambellaand Afar), and focusing on their constant and changing relations (formal or perceived)with the Ethiopian state, this work confirms the existence of three main conflict trends(interdependent and sometimes cumulative): the conflict between the two sectors, theconflict within the central sector, and the conflict within the peripheral sector. Finally, Iargue that the current Ethiopian conflicts derive from a dual state crisis: a crisis “of” theEthiopian state (the radical refusal of the state), and a crisis “within” the Ethiopian state(refusal of the regime or the government, but not the State itself). This dual crisisinherited from the imperial period took form during the second reign of Haile Selassie(1941-1974). The roots of contemporary armed conflicts in Ethiopia have to be situated insuch a crisis, and their continuation in its resilience.
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