Les traversées de la Honte : des douleurs du cancer à la douleur d'exister : Tentative d'élaboration psychanalytique du concept de déportation psychique

Est-il possible de détruire un homme ? Est-il possible pour un homme de se sentir inhumain au point de se négativer lui-même quand ce sentiment lui devient insupportable ? Il existe des situations extrêmes, des épreuves de vie insoutenables et des expériences honteuses qui remettent en question ce s...

Full description

Bibliographic Details
Main Author: Mariotti, Carole
Other Authors: Aix-Marseille 1
Language:fr
Published: 2011
Subjects:
Online Access:http://www.theses.fr/2011AIX10207
Description
Summary:Est-il possible de détruire un homme ? Est-il possible pour un homme de se sentir inhumain au point de se négativer lui-même quand ce sentiment lui devient insupportable ? Il existe des situations extrêmes, des épreuves de vie insoutenables et des expériences honteuses qui remettent en question ce sentiment d’appartenance à l’humanité. Jean, Margaret et Abel questionnent leur place dans la relation à l’autre et au monde face à une maladie qui perturbe leur existence et les confronte à de nombreuses pertes : Perdre sa dignité, perdre un enfant, perdre sa mère et perdre, pour certains, l’ignorance d’un savoir sur sa propre mort. Le cancer, lorsqu’il est mis en place de l’Autre, fonctionne parfois comme une sentence de mort, comme un point de certitude, comme une lettre mortuaire qui se chronicise dans la pensée et qui réorganise la place du sujet dans son rapport à l’Autre et à l’objet. La clinique nous montre ici à quel point le signifiant « cancer » confronte certains patients à une épreuve de réel insoutenable qui se présente dans l’imaginaire, soit sous la forme d’un précipice, d’un vide dans lequel ils peuvent tomber, soit dans le tic-tac d’une bombe à retardement susceptible d’exploser à tout moment. La clinique nous montre aussi qu’il existe des métaphores difficiles à entendre mais qui ne peuvent demeurer dans les limbes de la pensée. Au-delà de la métaphore du cancer comme système concentrationnaire, notre travail consiste à dégager un mode de fonctionnement logique et un positionnement subjectif particuliers.À partir des traversées de la honte, des expériences douloureuses et de cette profonde douleur d’exister que la maladie cancéreuse peut réactiver, nous verrons qu’une trajectoire de vie peut s’inverser. Le concept de « déportation psychique » concerne, selon nous, une inversion temporelle et une réorganisation subjective qui fera dire à celui qui l’éprouve : « Si ce n’est pas aujourd’hui, c’est que je vais mourir demain ». La mort plantée ainsi dans l’horizon d’un regard obscurcit l’histoire de vie du sujet dans une sorte de mélancolisation de son existence et dans la présentification de son « être pour la mort ».Est-il possible de détruire un homme ? « Si c’est un homme » écrit Primo Levi en posant, selon nous, la question ontologique suivante : « Que suis-je donc pour avoir vécu tout cela ? Pour l’autre, pour moi ? Suis-je un sujet ou un objet ? » Il interrogerait ainsi la qualité et la valeur d’un homme lorsqu’il est traversé par la figure du muselmann. À cette question, Pierre Fédida y répond par la nécessité de la ressemblance, Jacques Lacan par la nécessité de la langue. Primo Levi nous le montre dans sa rencontre avec Hurbinek : Pour être un homme, il faut être pris dans la langue ; il est nécessaire soit de parler, soit d’être parlé. Pour le détruire, il faut l’en extraire et faire en sorte qu’il croie qu’il n’est rien que ça, un simple déchet qui fait « tache dans le tableau » de l’humanité. === Is it possible to wreck a human being? Is it possible for a man to feel inhuman enough as to annihilate himself when this feeling overwhelms him? There are situations, extreme ones, unbearable and shameful life experiences that can put someone in doubt of his affiliation to humanity.Jean, Margaret and Abel are questioning their position in their relations to the others and the world when confronted to a disease disrupting their existence and to the losses it involves: lose their dignity, lose a child, lose their mother and, for some of them, lose the ignorance of the knowledge of their own death. When cancer is implemented by the Other, it can operate as a death sentence, as a certitude, as a funeral letter lingering on one’s thought up to the point to reorganize the place of the subject in his relations to the Other and the object. Clinical experience thereby demonstrates how the signifier “cancer” may drive a subject to the unbearable encounter of the Real, represented in the Imaginary in the form of a chasm, an empty space one risks to fall in, or the ticking of a bomb about to explode from minute to minute. Clinical experience also demonstrates that some metaphors are hard to admit but they should not remain in the deep limbs of thought. Beyond the cancer metaphor of a concentration camp, our work consists in bringing out a personal logical way of functioning and a subjective positioning.Through the alleys of shame, painful experiences and pain of living - which cancer disease often reactivates- we see that the path of life can be inverted. For all we are concerned, the concept of “psychical deportation” is about time inversion and a subjective reorganization which makes the suffering person say: “If I don’t die today, it will be for tomorrow”. Death is this way implemented in a subject’s field of view on his life story, darkening it in a sort of melancholisation of his existence and the presentification of his “being-toward-death”.Is it possible to wreck a man? “If this is a man”, we can imagine Primo Levi write as to ask the following hontological question: “Then what am I after enduring all that? What am I for the others as for myself? Am I a subject or an object?” He could have questioned this way the quality and the value of the human being when seeing himself in the muselmann figure. To answer to this hypothetical question, Pierre Fédida would have used the necessity of resemblance while Jacques Lacan the necessity of the language. Primo Levi could have confirmed the above positionings when meeting with Hurbinek : To be a human being, you need to be in the language; it’s necessary whether to speak or to be spoken. To devastate him, you need to extract him from the language and make him believe that he’s only that: a pariah, a piece of trash that “spoils the image ” of humanity.