Summary: | Dans le cadre de cette étude, la méthode de datation par luminescence optique a été appliquée à des sédiments pléistocènes de trois carottes forées dans la partie septentrionale de l'Atlantique Nord. Le site du forage de la carotte Troll 91/8903 se situe dans la partie nord-est de la Mer du Nord, au milieu du Chenal Norvégien. La deuxième carotte (SAB-85) est un forage situé sur l'île de Sable, au large des côtes de la Nouvelle-Écosse en bordure externe de la plate-forme continentale. Le troisième forage (TWC/PC 84-030-001) est une carotte prélevée sur la plaine abyssale dans la partie méridionale de la Mer du Labrador. De par leur position géographique, les sédiments de ces carottes constituent de précieuses archives des fluctuations climatiques quaternaires et du développement et du retrait des glaciers en zone péri-atlantique. Les échantillons analysés sont des sédiments marins et glacio-marins dont la position chronostratigraphique est basée sur des données lithologiques, biostratigraphiques, aminostratigraphiques et de rares datations au 14C.
Afin de dater ces dépôts, nous avons exploité les caractéristiques physiques des grains minéraux qui composent le sédiment. Le feldspath potassique est utilisé comme un dosimètre naturel et les sédiments sont directement datés par la méthode de luminescence optique, IRSL (Infrared Stimulated Luminescence). Les analyses sont effectuées sur deux tailles granulométriques: la fraction fine polyminéralique de 4 à 11 microns et les grains individuels de feldspaths potassiques dont la taille est comprise entre 125 et 250 microns. Pour calculer les âges IRSL, la méthode des aliquotes multiples {multiple-aliquot) et la méthode de l'aliquote unique (single-aliquot) sont utilisées. Cette dernière englobe la méthode des grains individuels et la méthode de l'aliquote unique en régénération "SAR" (Single Aliquot regeneration). Pour évaluer la dose équivalente (De), nous avons appliqué les méthodes de doses additives, de régénération et de la "slide" (Australian slide method) qui combine les deux méthodes précédentes.
D'une manière générale, les âges apparents IRSL obtenus sur les grains fins polyminéraliques des échantillons de la carotte Troll 8903 concordent relativement bien avec les âges présumés établis à partir de la chronostratigraphie régionale. La bonne reproductibilité des mesures et l'obtention d'un plateau lorsqu'on reporte la valeur de la dose équivalente en fonction du temps de stimulation indiqueraient que le signal IRSL des échantillons analysés a été bien remis à zéro au moment du dépôt des sédiments. L'obtention d'un tel plateau dans le cas de sédiments diamictiques mal remis à zéro démontre cependant que le test du shine plateau constitue un critère nécessaire mais non suffisant pour documenter l'efficacité de la remise à zéro du signal luminescent. L'analyse de monograins grossiers de feldspath potassique a révélé que le sédiment est en fait composé d'une population hétérogène de grains bien et mal remis à zéro. Ce constat est mis en évidence par le rapport de l'intensité de luminescence induite par l'ajout d'une dose d'irradiation artificielle sur l'intensité naturelle de chaque grain analysé (Ri = LN+J/L^). Ce rapport a donc servi d'indicateur de l'homogénéité et de l'efficacité de la remise à zéro du sédiment. Pour un échantillon mal remis à zéro, l'ajout d'une dose de radiation artificielle n'accroît pas le signal de luminescence par rapport à celui naturel car les pièges à électrons sont déjà remplis. Le rapport Ri pour de tels échantillons est proche de 1. Par contre, dans le cas d'un sédiment bien remis à zéro, Ri est supérieur à l'unité car le sédiment est sensible à l'ajout de la dose de radiation. La mesure du rapport Ri après un délai de quelques jours montre que le signal IRSL est instable et qu'il est affecté par le fading. Ce phénomène conduit à une sous-estimation des âges IRSL. La méthode fadia qui exploite la relation entre les rapport RI(tI) et RI(t2) a permis d'estimer un pourcentage de fading pouvant varier entre 7 et 30 %. Il semblerait que la concordance des âges apparents IRSL de la fraction fine (4-11 um) avec les âges présumés de certains échantillons est le résultat de l'effet combiné et antagoniste de la mauvaise remise à zéro et du fading.
Les âges IRSL obtenus pour les échantillons de la carotte SAB-85 (Nouvelle-Écosse) indiquent que la glaciation majeure qui a affecté la plate-forme continentale de l'Est Canadien est antérieure au Wisconsinien inférieur et daterait probablement de l'Illinoien supérieur (stade isotopique 6) ou d'une période glaciaire encore plus ancienne. L'évidence de cette glaciation majeure serait, entre autres, l'incision des chenaux sous-glaciaires dont les sédiments de remplissage constituent la séquence obtenue par le forage SAB-85.
L'application d'une version modifiée de la méthode d'aliquote unique en régénération (SAR: Single Aliquot Regeneration) a montré que les résultats produits sont d'une grande reproductibilité et d'une précision remarquable. Ce protocole a été testé sur des échantillons des trois carottes en utilisant la fraction fine polyminéralique et la fraction grossière composée de grains de feldspaths potassiques. Contrairement aux grains grossiers, la distribution de la dose équivalente estimée à partir de l'analyse des grains fins (4 - 1 1 um) montre une grande homogénéité entre les aliquotes qui supposerait une bonne remise à zéro du sédiment. Les échantillons sont cependant affectés par le fading avec un taux de l'ordre de 2.5 à 5 % par décade. Les âges IRSL corrigés par rapport aux fading en utilisant le facteur de correction "g" (Huntley et Lamothe, 2001) donnent des âges surestimés par rapport aux âges présumés. Cette surestimation est le résultat, entre autres, du transfert thermique qui s'effectue au niveau de l'aliquote naturelle. Il semblerait enfin, que la méthode SAR peut constituer un bon outil pour rendre compte de l'efficacité de la remise à zéro du sédiment dans le cas où l'abondance absolue de grains par aliquote est relativement faible. L'application de la SAR à la fraction fine polyminéralique a généré des doses équivalentes avec une très grande précision analytique et cela même pour des échantillons dont le signal IRSL naturel n'a pas été lessivé au moment du dépôt. La SAR constitue donc une méthode capable de livrer des âges IRSL très précis mais non nécessairement exacts lorsqu'il s'agit de sédiments mal remis à zéro.
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