Summary: | Ici comme ailleurs, de nombreux groupes tentent de lutter contre la pauvreté et de proposer un projet de société empreint de justice sociale. Au Québec, devant la réponse décevante des gouvernements aux revendications de la Marche mondiale des femmes et le peu de gains récoltés lors de la lutte contre la réforme de l'aide sociale de 1996 à 1998, les groupes communautaires, populaires, syndicaux et pastoraux s'organisent et fondent le Collectif pour une loi sur l'élimination de la pauvreté1. À partir de 1998, leur principal cheval de bataille sera la rédaction puis la promotion d'une proposition de loi citoyenne pour éliminer la pauvreté au Québec. En réponse à cette mobilisation d'envergure orchestrée à la grandeur du Québec par le Collectif, le gouvernement québécois adopte le 13 décembre 2002, la loi 112 ? Loi visant à lutter contre la pauvreté et l'exclusion sociale.
Cette recherche de type qualitative a étudié ce processus de mobilisation citoyenne pour la période de 1997 à 2002. Plus précisément, pour analyser cette lutte, trois thèmes ont été développés soit la mobilisation des acteurs sociaux pour fonder le Collectif, le processus d'établissement d'un consensus sur les moyens d'action à emprunter pour éliminer la pauvreté au Québec et les stratégies et tactiques employées par le Collectif pour influencer l'opinion publique et forcer le gouvernement à inclure cette question dans l'agenda politique. La cueillette des données a été réalisée au lendemain de l'adoption de la loi 112 soit en janvier 2003. Au total, treize répondants ont été interrogés lors d'entrevues individuelles semi-dirigées. La moitié des répondants avaient participé à la lutte du Collectif à l'échelle nationale alors que les autres avaient participé à la mobilisation sous l'égide de la coalition régionale Solidarité populaire 02.
Les principaux résultats présentent le point de vue des acteurs collectifs ayant participé à cette mobilisation. La première partie traite de l'interprétation du contexte historique ayant permis la genèse du Collectif, des motifs d'adhésion, des stratégies et tactiques de mobilisation et des éléments favorisant le maintien de la mobilisation. Les résultats se rapportant à l'établissement d'un consensus au sein du Collectif regroupent les éléments facilitant le consensus, ses obstacles et les coûts qui y sont associés. Finalement, pour décrire le cheminement de la question de la pauvreté dans l'opinion publique jusqu'à son inscription à l'agenda politique, des données relatives aux actions pour mobiliser l'opinion publique, aux tactiques pour influencer le gouvernement et au rôle des médias sont présentées.
Parmi les principaux faits saillants, on peut retenir que la force de l'utopie a été un puissant moteur de mobilisation décuplé par le charisme avec lequel le leadership a été assumé. En effet, les gens impliqués dans le Collectif ont été peu à peu contaminés par l'enthousiasme et la détermination dont a fait preuve la porte-parole nationale2 pour voir se concrétiser au Québec le rêve de se doter d'une loi pour éliminer la pauvreté.
En ce qui a trait à l'établissement du consensus au sein du Collectif, deux idées principales peuvent être dégagées. Premièrement, bien que le consensus soit un mode décisionnel qui comporte différents avantages pour les membres, il a également des effets pervers en favorisant l'opinion des membres les plus influents et les plus habiles au niveau des compétences discursives. Deuxièmement, on peut affirmer que pour maintenir le consensus établi dans un groupe, il est essentiel que les membres y retrouvent des points de convergence suffisamment importants pour se sentir partie prenante d'un projet. Dans le cas de la présente recherche, il s'est avéré que l'établissement puis la revendication des mesures urgentes en parallèle à la proposition de loi a été un des facteurs de cohésion dans le groupe.
Enfin, parmi les principaux résultats se rapportant au troisième thème de cette recherche soit le parcours de la question de la pauvreté comme problématique sociale jusqu'à son inscription à l'agenda politique, un élément majeur a retenu notre attention. Dans leurs stratégies et tactiques pour influencer le gouvernement, les membres du Collectif ont choisi la voie du lobbying pour se faire entendre. Évidemment, ce choix dicte l'utilisation d'une approche consensuelle dans l'établissement des rapports avec l'État. Cependant, cette approche n'a pas fait consensus auprès de tous les membres. Certains d'entre eux ont déploré l'absence d'actions de mobilisation de type conflictuel. On peut poser l'hypothèse que, derrière ce reproche, se cache la peur d'être récupéré par l'État et de se retrouver dans une position où le rôle de critique est difficile à jouer.
L'analyse des résultats permet d'affirmer que, bien que des éléments conjoncturels furent favorables, la loi 112 n'aurait jamais vu le jour sans tout le travail de mobilisation mené avec acharnement par le Collectif, il semble donc que cette mobilisation représente une victoire citoyenne qui fait office d'exemple en matière de définition des politiques publiques et en matière d'organisation communautaire.
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