Summary: | En raison de la complexité de la communication orale en interaction, les oraux polygérés demeurent les grands absents du contexte scolaire. Plusieurs enseignants ont d’ailleurs toujours tendance à faire de l’exposé oral l’activité de communication principale en classe de français, langue d’enseignement (Sénéchal & Chartrand, 2012), et ce, même si ce type de pratiques évacue bien souvent le cadre naturel d’interlocution de la communication orale. Cette présence marquée de l’exposé oral est sans doute en lien avec la difficulté à enseigner cet objet immatériel et complexe qu’est la communication orale, ce qui apparait d’autant plus vrai en contexte d’interlocution où les activités discursives sont prises en charge collectivement, où la gestion des tours de parole complexifie la communication, où les interlocuteurs sont souvent appelés à coordonner plusieurs actes discursifs pour prendre part activement à l’élaboration d’un tissu discursif commun (Pekarek-Doehler, 2006b; Pochon-Berger, 2010). Cette complexité de l’oral en contexte d’interaction ne semble pas sans lien avec la place que les compétences pragmatiques y occupent (Conseil de l'Europe, 2000). L’enseignement de la communication orale, et particulièrement de sa dimension pragmatique, semble constituer une activité difficile à gérer sans indicateurs afin d’orienter le quoi enseigner et le quoi évaluer.
La présente recherche, de type qualitatif/interprétatif et exploratoire, vise à fournir des balises afin de guider l’observation des compétences pragmatiques dans un espace pédagogique interactif et, plus précisément, dans le contexte de dialogues philosophiques au secondaire. Le premier objectif de la recherche est de décrire et de comprendre les manifestations de la compétence discursive à l’oral dans le cadre de dialogues philosophiques. Le deuxième objectif est de décrire et de comprendre les manifestations de la compétence interactionnelle à l’oral dans le cadre de dialogues philosophiques.
Pour réaliser notre collecte de données, nous avons procédé à des observations non participantes dans cinq dialogues philosophiques impliquant quatre groupes-classes différents de deuxième cycle du secondaire. L’enregistrement vidéo des dialogues philosophiques nous a permis de réaliser une analyse systématique des manifestations des compétences pragmatiques, et des entretiens individuels avec quatre élèves et l’enseignant-animateur nous ont permis de valider et d’enrichir nos observations.
En plus d’appuyer empiriquement nos indicateurs théoriques, l’analyse des données nous a permis de tisser des liens entre les manifestations des compétences pragmatiques observées et les particularités contextuelles de la pratique du dialogue philosophique. Pour la compétence discursive, l’analyse des données nous amène à poser l’hypothèse d’une possible relation entre, d’une part, la nature philosophique du processus de recherche et la complexité des objets discursifs abordés dans les dialogues observés et, d’autre part, la présence marquée d’actes de prise de position, d’étayage, de contextualisation et de désaccord. Pour la compétence interactionnelle, nous avons observé la cohabitation de trois modes de gestion des tours de parole, la gestion étant parfois plus spontanée, parfois appuyée sur des mains levées, parfois nettement orientée par l’enseignant. Effectivement, il semble que l’enseignant joue un rôle dans la manifestation des compétences pragmatiques, comme en témoignent également les chaines de discours introduites par ses actes de questionnement. Enfin, nos données indiquent que, dans les dialogues observés, les élèves interviennent fréquemment dans une perspective « méta » afin de réguler les échanges.
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