Summary: | Ce mémoire de maîtrise porte sur le roman Les Onze mille verges de Guillaume Apollinaire, et plus spécifiquement sur la réception singulière des contenus sexuels scabreux qu'il met en scène. En effet, le lecteur, face à l'étalage de pratiques et comportements socialement marginaux et parfois fort anxiogènes, ne s'insurge pas mais rit - ou à tout le moins sourit -, le roman semblant lui imposer une nouvelle évaluation des contenus, annihilant d'une certaine façon le jugement / le sentiment (négatifs) qu'ils génèrent habituellement. Ce sont les modalités - essentiellement comiques - de ce renversement des valeurs, de cette transformation de la réaction lecturale qui nous intéressent ici.
Dans le premier chapitre, nous cherchons à révéler le phénomène comique dans sa grande complexité, à en dévoiler les rouages importants dans l'optique de rendre compte de la façon dont ces derniers contribuent au détournement ou encore à la désensibilisation du lecteur. Nous analysons, en tant que ressorts comiques observables dans plusieurs séquences et motifs du roman d'Apollinaire, la parodie d'une légende chrétienne, le jeu et ses déploiements, la contradiction axiologique, la mise en évidence du physique, la déshumanisation, l'interférence de séries et le comique de mot.
Nous montrons dans le deuxième chapitre qu'un système de valeurs relatif au carnaval d'antan structure l'oeuvre, et que, dans cette axiologie propre, certains contenus particuliers des Onze mille verges - la sexualité infantile, la satisfaction des besoins naturels, la confusion des genres sexuels, la souffrance, la mort et ses circonstances atroces -, de même que plus généralement le bas corporel, ont une signification et des accents singuliers, joyeux.
Nous nous intéressons, dans le troisième chapitre, à la parodie du roman de chevalerie dont l'analyse nous permet de signaler d'autres mécanismes importants du repositionnement lecrural inhérent aux contenus sexuels dans le roman d'Apollinaire, à savoir la culbute parodique par laquelle la sexualité se voit sporadiquement projetée vers le haut, ainsi que la déviation du contenu - au fort potentiel scandaleux - vers la forme - à la charge émotive quasi nulle - qu'entraîne la présence d'éléments parodiés.
Il s'agit en fait pour nous de montrer qu'ils sont autant de puissants moyens déployés par le texte pour faire littéralement basculer - du moins le temps de la lecture - une axiologie relative aux pratiques sexuelles, et qui reste, dans bien des cas, encore aujourd'hui fortement ancrée.
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