Summary: | Les grandes réformes de structure apportées au système d'éducation, dans les années soixante, réformes qui laissaient planer la possibilité d'une augmentation incessante du niveau de connaissances des générations à venir, n'ont pas donné les résultats escomptés. L'école se trouve toujours dans la position d'être incapable de répondre aux attentes qu'on a entretenues à son endroit. Aux yeux de plusieurs observateurs, des signes de malaise indiquent qu'il y a encore des embâcles dans le processus qui mène au développement complet des élèves. Ces signes de malaise, ce sont, notamment, l'abandon scolaire, l'absentéisme, l'insuffisance de rendement, en fait, tous ces comportements qui peuvent être considérés comme autant de manifestations d'une situation d'inadaptation scolaire. Si l'avenue privilégiée pour contrer ces manifestations consiste en des actions collectives et concertées de tous les acteurs du milieu scolaire, et particulièrement des enseignants, les connaissances sur les conditions qui peuvent influencer leur implication dans de telles actions demeurent limitées. Les enseignants sont généralement considérés comme isolés, individualistes et peu enclins au travail en équipe.
Partant de l'objectif général de mieux comprendre la participation des enseignants aux efforts de réduction de l'inadaptation scolaire, cette recherche poursuit comme objectifs spécifiques 1) de décrire la nature de la participation des enseignants à l'encadrement des élèves, 2) de faire ressortir les conditions et contraintes de cette participation et, 3) de cerner la façon avec laquelle les enseignants concilient les exigences de l'encadrement avec leurs préoccupations personnelles.
Sa réalisation s'appuie sur les concepts et la démarche de l'analyse stratégique; une importance particulière est accordée au vécu des acteurs, à leurs activités, leurs contraintes, leurs relations, leurs satisfactions et insatisfactions. Les données utilisées proviennent d'entrevues réalisées auprès de quatre-vingts informateurs (dont soixante-cinq enseignants), de quatre écoles différentes de niveau secondaire.
La reconstitution descriptive des systèmes d'encadrement mis en place dans les écoles participantes met en lumière la contribution attendue des divers acteurs en contact avec les élèves, contribution dont la nature est spécifiée à travers un ensemble de règles et de prescriptions. L'étude du fonctionnement informel de ces systèmes révèle toutefois que l'application n'est pas toujours conforme à ce qui est prescrit; la contribution des enseignants à l'encadrement des élèves s'actualise à travers diverses pratiques qui sont regroupées sous quatre modes de participation: la participation réfractaire, la participation sélective, la participation engagée et la participation abusive.
Les informations recueillies font ressortir trois catégories d'influences sur la participation des enseignants à l'encadrement des élèves. La première renvoie à des éléments liés au système scolaire, sur lesquels les acteurs de l'école n'ont pas de contrôle direct: lourdeur de la tâche, contenu des programmes, contraintes d'horaire. La deuxième regroupe des éléments se rapportant aux caractéristiques individuelles des acteurs: conception des interventions à privilégier, connaissances, habiletés, intérêt. Enfin, la troisième catégorie fait référence à des éléments de la dynamique dans laquelle s'inscrit l'application du système d'encadrement: relations entre les acteurs, réactions des élèves, bénéfices retirés.
Si plusieurs contraintes pèsent sur les enseignants, celles-ci ne réduisent pas totalement leur zone d'autonomie, comme le révèle la diversité relevée dans les modes de participation. En fait, outre l'incertitude que pose l'intervention face au phénomène de l'inadaptation scolaire, la zone d'indétermination découlant du contrôle quasi exclusif que les enseignants exercent sur la classe, zone stratégique "cruciale" de l'organisation scolaire, leur confère un pouvoir considérable qu'ils peuvent utiliser pour négocier leur participation à l'encadrement des élèves.
Leur marge de liberté est cependant assujettie à l'exigence que pose la survie du système d'encadrement et à leur impossibilité de prévoir la nature de la participation des autres acteurs. Ainsi, l'option de laisser les autres assumer les inconvénients de l'encadrement, stratégie qui permettrait à l'enseignant de retirer les bénéfices du système sans avoir à y contribuer, est contrebalancée par l'exigence d'une application minimale du système. En effet, si aucun enseignant ne met le système en application, celui-ci devient inopérant, privant ainsi tous les acteurs des bénéfices collectifs qu'ils en retirent. La participation des enseignants à l'encadrement se présente donc comme une solution, satisfaisante mais non optimale, à une recherche d'équilibre entre la contribution fournie et les bénéfices retirés, solution qui ne prend de sens qu'en tenant compte de la structure de jeu dans laquelle s'inscrit cette participation.
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