Summary: | En discours spontané français québécois, il existe de nombreuses particules discursives, telles hein, n'est-ce pas, osti, là, tsé, etc. à propos desquelles les grammaires sont à peu près muettes. Toutefois, un certain nombre d'études analysent la valeur énonciative de ces particules soit à partir d'une base syntaxique, soit à partir d'une base discursive; ces travaux sont loin de faire consensus. Si la plupart évoquent au passage la structure prosodique de ces éléments, particulièrement VINCENT (1983), aucun n'en fait une étude systématique. L'analyse prosodique de la particule discursive là, appelée plus spécifiquement ponctuant, vise donc à reprendre le problème dans une perspective qui part des caractéristiques prosodiques pour aller à la rencontre du rôle discursif. L'étude est développée selon l'approche à caractère descriptif mise de l'avant par le groupe de l'Institut de Phonétique d'Aix (ROSSI et al. 1981).
La double valeur syntaxique et sémantique de l'élément là, l'adverbe et l'élément discursif, permet une étude prosodique comparative. L'objectif général de l'analyse est donc de comparer les caractéristiques prosodiques de ces deux types d'emploi du là:
1) l'emploi déictique à valeur locative ou temporelle: toutes les fois qu'on va là sont dans le ménage (FD3) ou adjoint au démonstratif: à ce moment-là il faut une structure... (CD1);
2) l'emploi discursif: les Blancs là la majorité... (BP2).
Le corpus provient d'entrevues réalisées auprès de six locuteurs québécois (corpus PARADIS 1985); il est constitué de cent cinquante groupes prosodiques assertifs en début d'énoncé, répartis en trois types de séquences: celles se terminant par un là déictique, celles se terminant par un là ponctuant et celles sans là, qui forment un groupe-témoin. L'analyse prosodique détaillée (Fo, intensité et facteurs temporels) est faite à l'aide du système Computerized Speech Lab (CSL) de Kay Elemetrics Corp.
La démarche méthodologique pour réaliser un tel type d'étude est loin d'être établie et pose un certain nombre de problèmes, particulièrement en ce qui concerne la neutralisation des effets microprosodiques et l'application des seuils de perception. En raison de cet état de fait, les tendances dégagées à partir des valeurs brutes sont toujours données. Cependant, l'interprétation des résultats porte essentiellement sur les données corrigées pour quatre syllabes cibles, à savoir les deux syllabes précédant le là, le là et la syllabe qui lui est subséquente.
Il ressort de cette analyse que les deux types d'emploi de là présentent des caractéristiques prosodiques distinctes:
1) Les quatre syllabes cibles des séquences avec là déictique présentent par tendances le modèle prosodique suivant: ? ? ?. Le là déictique proprement dit est généralement porteur, par ordre d'importance, d'une intonation montante, d'une intensité montante et d'une augmentation de durée.
2) Les quatre syllabes cibles des séquences avec là ponctuant présentent pour leur part le modèle prosodique suivant: ? ? ?. La syllabe qui précède le ponctuant est la plupart du temps porteuse des mêmes caractéristiques que la syllabe du là déictique tandis que la syllabe du là ponctuant est le plus souvent caractérisée par une chute d'intonation, une chute d'intensité et une durée assez importante, ou comparable à celle de la syllabe précédente, ou quelques fois plus longue.
D'une part, les caractéristiques prosodiques communes au là déictique et à la syllabe qui précède le là ponctuant sont associables à un intonème continuatif majeur /CT/; d'autre part, s'il apparaît clairement que les caractéristiques du là ponctuant sont bien différentes de celles du là déictique, le statut prosodique de la particule discursive n'est pas aussi net que celui de l'élément adverbial. Néanmoins, les caractéristiques du ponctuant semblent présenter une parenté assez forte avec l'un des intonèmes répertoriés par ROSSI et al. (1981), le conclusif mineur /ce/; le là ponctuant paraît donc jouir du statut de syntagme intonatif autonome.
Finalement, la nette distinction qui ressort entre le statut prosodique des là déictiques et celui des là ponctuants reflète les différences syntaxico-discursives entre ces deux types de là et ainsi le rapport entre l'organisation prosodique et l'organisation syntaxico-discursive.
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