Summary: | Le développement des emplois atypiques au Québec donne lieu à la mise en évidence de nouveaux enjeux sociaux et politiques dans un contexte de flexibilité du travail. Depuis deux décennies, différents travaux menés par des sociologues, des statisticiens ou des juristes démontrent, en effet, le recours accru à des statuts d'emplois temporaires, à temps partiel contraint, au travail autonome dans de nombreux secteurs d'activité, privés comme publics. Ils constatent que les rémunérations, les protections sociales et, d'une manière plus générale, la sécurité d'emploi de ces travailleurs sont moins favorables que celles de la majorité de la main d'œuvre. Par ailleurs, l'existence des phénomènes de pauvreté semble, depuis le début du 21ème siècle, s'élargir à tout un pan de la population salariée - les travailleurs pauvres - et toucher principalement les jeunes de moins de 30 ans, les femmes, la population migrante, les salariés de plus de 50 ans. La critique des approches théoriques institutionnalistes basées sur les statuts d'emploi et d'une lecture statique de situations économiques et sociales vulnérables suggère de considérer ce glissement comme une précarisation du travail et une aggravation des inégalités sociales dans le champ du travail. C'est pourquoi l'analyse des rapports sociaux qui les produisent permet d'éclairer et de réfléchir aux processus à l'œuvre dans le marché du travail. En choisissant cette perspective critique, nous avons construit une recherche qualitative auprès de vingt résidents du Centre-Sud de Montréal vivant ou ayant vécu des expériences d'emplois atypiques pour, non seulement, comprendre ce que signifie l'expérience de la précarité du travail et de l'emploi mais aussi pour mettre en évidence, à travers le concept de souffrance sociale, les situations d'injustices que peuvent représenter ces expériences. En reconstituant le déroulement des trajectoires professionnelles, en scrutant les traces des rapports sociaux dans les milieux de travail et en contextualisant les signes explicites de la souffrance vécue par les informateurs clés, l'analyse des paroles recueillies au cours d'entrevues semi-directives nous a permis d'entrer au cœur de l'expérience du travail et de l'emploi atypique et de comprendre en quoi les trajectoires de ces hommes et de ces femmes sont structurées par les pratiques de différents acteurs présents dans la sphère économique. Bien que de nature exploratoire, nos résultats permettent non seulement de rendre visibles les contraintes et les contradictions auxquelles sont soumis certains salariés sur le marché du travail, mais aussi de démontrer que toute entreprise de lecture critique d'un phénomène sociologique, tout en restant pertinente, est possible et nécessaire.
______________________________________________________________________________
MOTS-CLÉS DE L’AUTEUR : Précarisation du travail, inégalités sociales, injustice, trajectoires
|