Summary: | L'importance de Bodhgaya sur le plan mondial est attribuable à son association avec le Bouddha, qui y aurait atteint l'illumination il ya environ 2550 ans. La plupart des bouddhistes considèrent Bodhgaya comme le site de pèlerinage le plus important du monde, qui doit être visité au moins une fois dans la vie d'un bouddhiste. Ce site sacré se trouve au Bihar, l'état le plus pauvre de l'Inde, situé au centre de ce pays. Ces dernières années, après des siècles d'existence en quasi-obscurité, Bodhgaya a refait surface et attire des millions de visiteurs internationaux. Cela transforme le simple paysage agricole en un village cosmopolite en plein essor, lequel se rempli de monastères et de temples bouddhistes exotiques, d'hôtels, de restaurants et de centres commerciaux ainsi que d'organismes de santé, d'établissements d'enseignement et de coopératives villageoises. Depuis que le temple Mahabodhi s'est mérité une place sur la liste du patrimoine mondial de l'UNESCO en 2002, le statut de Bodhgaya sur la scène internationale a explosé : plusieurs groupes bouddhistes se ruent vers le site pour y accomplir des rituels, pour acquérir des terrains, pour développer des réseaux d'aide internationale, pour favoriser le tourisme ainsi que supporter les initiatives de développement urbain. Le caractère ouvertement international du site a transformé la vie des habitants locaux bihari qui se retrouvent dans un monde nouveau sur plusieurs plans : économique, social, culturel, linguistique, religieux, politique et imaginaire. Conséquemment, ces changements influencent la façon dont les pèlerins, d'une part, se déplacent dans les paysages physiques et imaginaires de Bodhgaya et, d'autre part, comment ceux-ci forment des récits entourant ces paysages. Bodhgaya, comme d'autres centres importants de pèlerinage et de tourisme, est devenu un carrefour culturel entre le local et le mondial. Après s'être heurtés, à Bodhgaya, à des défis sociaux, financiers et éducatifs, plusieurs pèlerins bouddhistes venus de diverses confessions ont adapté leurs pratiques traditionnelles dévotionnelles, telles que la méditation, la prière et les offrandes. Ils se sont ainsi engagés dans des services sociaux, comme le témoigne le développement d'écoles parrainées par les pèlerins, de cliniques de santé et de centres de formation professionnelle pour les communautés locales hindoues et musulmanes. L'augmentation du nombre d'organisations non-gouvernementales (ONG) bouddhistes à Bodhgaya est, d'une part, une réaction à l'échec du gouvernement en matière d'éducation, d'alimentation de santé, et de besoins de première nécessité. D'autre part, plus particulièrement en matière d'éducation, il s'agit d'une réponse à la perception bouddhiste selon laquelle l'éducation est un outil primordial de la transformation personnelle, sociale et spirituelle. Le travail social n'est pas perçu par ces pèlerins « engagés » comme étant opposé à leurs activités spirituelles. Au contraire, il fait partie intégrante de celles-ci. De cette manière, les pèlerins n'orientent pas leur sentier spirituel seulement vers la réalisation de leur propre libération. Leurs démarches visent également la guérison et la transformation de soi et de l'autre. Cette thèse étudie la façon comment le mouvement transnational de pèlerins bouddhistes privilégiés et les pratiques spécifiques de ces derniers, leurs images, leurs idées et leurs objets ont un impact sur le système local d'éducation. Plus précisément, j’étudie comment les pèlerins bouddhistes changent le terrain éducationnel en ouvrant des écoles privées et alternatives d'inspiration bouddhiste à Bodhgaya. J'étudie aussi comment la communauté agraire locale, composée surtout de biharis hindous et musulmans, perçoivent ces changements et comment ils y réagissent. J'analyse aussi comment ces écoles, entre autres les discours ainsi que les pratiques bouddhistes de celles-ci, sont assimilées, transformées, et légitimées et contestées dans le contexte local de l'éducation au Bihar, lequel est non bouddhiste et défavorisé socio-économiquement. Pour arriver à cette fin, j'ai poursuivi ma recherche en tant qu'observateur participant à Maitreya Universal Education Project School, l'une des premières écoles à Bodhgaya qui ait été fondée et qui soit toujours dirigée par une ONG bouddhique occidentale. J'ai aussi porté mon attention sur d'autres organisations étrangères d'inspiration bouddhique actives depuis longue date et qui ont eu des impacts sociaux considérables sur la communauté locale. En mettant en œuvre une approche académique qui intègre l'histoire et l'ethnographie, ainsi que des perspectives théoriques issues des domaines de l'anthropologie, des études des pèlerinages, des études bouddhiques, des études du développement international, de l'éducation holistique et de la pédagogie critique, je cherche à comprendre comment Bodhgaya s'est transformé d'un village agricole bihari pauvre et d'un lieu de pèlerinage bouddhique peu fréquenté en un centre cosmopolite sacré où apparaissent continuellement de nouvelles formes et significations associées aux pratiques religieuses. Je vise également à mettre en lumière comment la situation socio-économique actuelle de Bodhgaya influence ou n'influence pas les manières dont les pèlerins bouddhistes perçoivent, pratiquent et expérimentent le pèlerinage. Il est aussi question d'observer comment ces conditions contemporaines participent à produire de nouvelles formes de relations entre les pèlerins bouddhistes et les indiens locaux, l'éducation et le changement social étant maintenant au cœur de ces relations. Ma recherche révèle comment le discours et la pratique bouddhiste sont utilisés par les institutions locales à des fins sociales, économiques et culturelles. De ce fait, cette recherche révèle comment la communauté locale perçoit les bouddhistes : comme une menace, comme une intrusion coloniale à laquelle il faut résister ou comme une culture à laquelle il faut se plier par nécessité économique. Ces attitudes ne sont pas mutuellement exclusives. Elles révèlent un modèle complexe de relations sociales qui contribuent à la construction de la communauté locale du Bihar moderne et la communauté bouddhiste mondiale. Bien que le pèlerinage, le bouddhisme et les investissements étrangers en éducation soient tous des thèmes familiers en anthropologie et en sciences des religions, ceux-ci n'ont jamais étés juxtaposés dans une seule et même étude. Cela est encore moins le cas dans le contexte de Bodhgaya, un des sites les plus sacrés pour les bouddhistes. Cette analyse interdisciplinaire contribue à la compréhension de la migration transnationale.
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MOTS-CLÉS DE L’AUTEUR : Bouddhisme, Inde, pèlerinage, éducation, engagement social, mondialisation
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