Summary: | Paru à Francfort en 1845, le Struwwelpeter de Heinrich Hoffmann se présente comme le précurseur des albums illustrés pour la jeunesse, ayant pour principal objectif d'amuser l'enfant : le texte est conçu sous forme de comptines, et accompagné d'illustrations qui permettent à son destinataire de comprendre l'histoire même s'il n'est pas en âge de lire. L'œuvre, destinée au jeune lecteur (ou auditeur), n'est pas dépourvue d'enseignement moral ni de cruauté ; au contraire, les scénarios surprennent par leur violence, celle-ci étant justement fonction du comique. Ce que montre notre mémoire, c'est comment les manifestations de la corporéité, mise en mots comme en images, créent cette émergence du comique à travers le plaisir pulsionnel (sadisme, oralité, castration, etc.). Dans un premier chapitre, nous jetons un regard sur la manière dont la poésie enfantine d'Hoffmann déclenche le comique par sa mise en scène de la corporéité, par ses effets de répétition. Des jeux de langage tels que les rimes, les onomatopées, les assonances et les allitérations sont omniprésents dans le Struwwelpeter, et il est nécessaire d'observer leur fonctionnement pour voir à quel point la forme est prédominante, ou, pour le dire comme Bergson, à quel point « le corps pren[d] le pas sur l'âme ». De même, nous analysons les images en concordance avec le discours, pour montrer que les personnages illustrés, aux allures de marionnettes ou d'automates, désamorcent la violence des récits pour laisser place au rire. Le deuxième chapitre fait quant à lui ressortir le côté irrévérencieux du comique d'Hoffmann, en inversant le haut et le bas corporel (Bakhtine). Notre objet présente ce caractère grotesque du corps qui fascine l'enfant : images caricaturales, extrémités prolongées et exagérées, postures scatologiques et hygiène négligée, et nous voyons que c'est aussi le grobianisme, pendant germanique du grotesque, qui est mis à l'œuvre dans le Struwwelpeter. Enfin, le dernier chapitre s'attarde à la transgression des tabous, qui passe elle aussi par la question du corps : corps morcelé, battu, castré, enterré... et pourtant drôle. Nous voyons à partir des théories freudiennes que la sexualité, la mort et la violence occupent toutes trois des places de choix dans l'album, et qu'en représentant ces thèmes de façon aussi explicite, Hoffmann suscite le plaisir d'une transgression de l'interdit, d'autant qu'il daube dans son œuvre certains rites et cérémonials associés au deuil. Cette levée de nombreux tabous a soulevé des questions chez plusieurs critiques, mais elle n'en reste pas moins la raison première du succès rapide et durable du Struwwelpeter auprès des enfants d'Allemagne et d'ailleurs, bien qu'il reste encore méconnu au Québec.
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MOTS-CLÉS DE L’AUTEUR : Struwwelpeter, Crasse-tignasse, Pierre l'ébouriffé, littérature pour la jeunesse, album illustré, comique, sadisme, corporéité, culture germanique.
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