Summary: | Jusqu'à maintenant, très peu de recherches se sont intéressées à la manière dont l'aide est reçue dans les groupes d'entraide. En voulant mieux comprendre le processus de la réception de l'aide dans le mouvement des Alcooliques anonymes (A.A.), cette thèse en théologie pratique vient combler un vide. L'étude explore le processus de l'entraide à partir du point de vue des receveurs. Avec une méthodologie de recherche qualitative, douze entrevues ont été réalisées auprès de membres de ce mouvement.
Éclairée par une anthropologie situant les échanges humains dans le cycle donner-recevoirrendre, l'étude met en lumière le processus de la réception des membres. La déstructuration de leurs alliances humaines, liée à leur alcoolisme, les a précipités vers une voie sans issue. Privés d'échanges, les membres pouvaient de moins en moins recevoir et conséquemment, donner de moins en moins aux autres. Leur humanité était ainsi fragilisée, car en dehors du cycle du don, il n'y a pas possibilité de vivre une reconnaissance réciproque et de créer des liens sociaux. Alors, les membres ont été placés dans un dilemme existentiel : ou bien ils continuaient à consommer avec les risques de gâcher leur vie irrémédiablement, ou bien ils prenaient la décision d'arrêter de consommer en acceptant de recevoir de l'aide extérieure. Cependant, même dans une situation de vulnérabilité extrême, les participants ont hésité à joindre le mouvement. La recherche montre que recevoir de l'aide, c'est mettre son identité en jeu. En effet, le don réalisé avec mépris est aliénant. Il peut aussi endetter négativement les personnes, être irrespectueux de leur liberté et créer une dépendance. L'hésitation des membres est donc tout à fait compréhensible.
Malgré tous ces risques, les membres A.A. ont fait le pari de recevoir. L'ingéniosité de ce mouvement, démontrée par la thèse, est d'amener les participants à passer d'une position de receveurs à une position de donneurs en leur confiant, graduellement, différentes responsabilités. Ils sont ainsi reconnus dans leurs qualités et leurs capacités. Pour eux et leurs proches, ils existent alors à nouveau. Cette recherche a aussi mis en perspective l'importance d'attitudes comme l'accueil, le respect, le non-jugement, la confiance, l'honnêteté et la générosité, venant confirmer les participants dans leur dignité d'êtres humains, us expérimentent une identité qui advient et se reçoit des autres. Enfin, et c'est aussi un point essentiel que la thèse met de l'avant, en prenant la position de donneurs, les membres reçoivent à nouveau de la reconnaissance. Dans ce mouvement, il y a donc une interchangeabilité des positions favorisant la continuité du cycle du don.
Cette alternance est étroitement liée au sentiment de gratitude. La recherche montre clairement que ce sentiment, prenant naissance à l'étape du recevoir, relie le don des A.A. et le « rendre » des membres. Réalisant ce que le mouvement a fait pour eux, ils sont entraînés, par le dynamisme de l'Esprit, à donner à leur tour. L'obligation de rendre est allégée par la gratitude. Leur vie livrée à d'autres devient alors le continu d'un « recevoir » et leur manière de remercier Dieu et le mouvement. Ce phénomène à l'oeuvre chez les A.A. est le salut en acte et il est mis au jour dans cette étude.
En conclusion, cette thèse identifie le processus de la réception chez les A.A. et propose des points de repère pour l'intervention. La compréhension de ce processus peut en effet aider les intervenants à mieux saisir les enjeux et les drames pouvant se jouer à cette étape cruciale du cycle du don. Finalement, nous indiquons quelques retombées pour la pratique professionnelle d'enseignant et de superviseur, de même que l'horizon des recherches à entreprendre pour les prochaines années.
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