Summary: | Le mythe de Protée dans l'?uvre d'Emile Ajar est un essai de lecture psychocritique des quatre romans que Romain Gary a publiés sous le pseudonyme d'Emile Ajar: Gros-Câlin (1974), La Vie devant soi (1975), Pseudo (1976) et L'Angoisse du roi Salomon (1979). L'?uvre ajarienne, tout autant que l'énigme légendaire du dédoublement auctorial, a aiguisé la curiosité du monde littéraire, subjugué un large public. Elle présente donc un intérêt particulier, voire même exceptionnel, pour notre approche qui s'appuie sur la psychanalyse textuelle conjuguée à la méthode de Charles Mauron (1899-1966), que nous avons modifiée à la lumière des acquis de la sémiotique dans le sens élargi du terme. Par le truchement de la superposition des textes, par l'analyse des images récurrentes, des métaphores obsédantes, et par l'interprétation du mythe personnel, le présent mémoire permet de découvrir quels facteurs préconscients et inconscients ont participé à l'édification progressive de cette ?uvre.
Essentiellement, l'objectif de cette recherche propose une «lecture» des quatre textes d'Emile Ajar. Une «lecture» qui vise ? sans nier pour autant la personnalité consciente de l'auteur ? à démontrer comment le scripteur-créateur est amené, à travers des analogies de mots, d'idées, d'images, et des stratégies dont il est pleinement conscient, à exposer une structure, un scénario, dont il est en bonne partie ignorant. Nous espérons voir ainsi émerger graduellement le moi profond exprimé par la fiction et dissimulé au c?ur de l'?uvre.
Puisque c'est par la voie de l'ambivalence que nous pouvons passer le plus facilement de l'?uvre à la structure psychique qui la sous-tend, la première partie de ce mémoire montrera comment les situations conflictuelles, y compris l'angoisse que celles-ci engendrent, sont présentées dans les romans d'Emile Ajar. Et nous tenterons de découvrir quelle est la signification pulsionnelle inconsciente de ces scènes manifestement teintées d'ambivalence et d'angoisse.
L'imago maternelle constituant le pôle d'attraction dans l'?uvre ajarienne tout entière, la seconde partie sera consacrée à l'analyse des personnages qui figurent la mère, c'est-à-dire à mettre en lumière ce qui se dissimule derrière ces visages féminins que le texte met en scène. Notamment, une figure maternelle qui semble exercer une fascination sans bornes sur les personnages moïques.
Quant à la dernière partie, elle démontrera que la figure paternelle occupe une place plus importante que ne le laisse entrevoir une lecture trop hâtive des textes ajariens. Derrière la recherche compulsive de la mère se dissimule la nostalgie du père, qui constitue le chaînon manquant dans cette aventure ?dipienne, conflictualisée à l'extrême. D'où l'entreprise de séduction du père que cette dernière partie retracera dans les détails.
En conclusion, nous nous retrouverons face à un moi narcissiquement handicapé, incapable d'affronter l'épreuve ?dipienne parce qu'il n'a pu accéder à l'identification paternelle. Et à travers toutes les stratégies ajariennes, qui donneront lieu à des métamorphoses moïques aussi déroutantes que fascinantes, nous verrons poindre le mythe de Protée.
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