Les intentions du dessinateur. Un cas d'étude à l'interface entre la philosophie de l'art et les sciences cognitives.

Peut-on percevoir une image comme le produit d'une certaine démarche intentionnelle ? Plus précisément, les images ont-elles des " propriétés intentionnelles ", c'est-à-dire des propriétés que l'on voit comme le résultat des actions intentionnelles de l'artiste ? Cette...

Full description

Bibliographic Details
Main Author: Pignocchi, Alessandro
Language:FRE
Published: Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) 2008
Subjects:
Online Access:http://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00643455
http://tel.archives-ouvertes.fr/docs/00/64/34/55/PDF/Doctorat_LES_INTENTIONS_DU_DESSINATEUR.pdf
Description
Summary:Peut-on percevoir une image comme le produit d'une certaine démarche intentionnelle ? Plus précisément, les images ont-elles des " propriétés intentionnelles ", c'est-à-dire des propriétés que l'on voit comme le résultat des actions intentionnelles de l'artiste ? Cette question est intéressante car elle occupe une région intermédiaire entre l'analyse conceptuelle développée par la philosophie analytique de l'art et la recherche empirique en sciences cognitive. Du côté de la philosophie de l'art, elle est connectée à la thèse intentionnelle, selon laquelle l'évaluation d'une œuvre d'art en tant qu'œuvre d'art est nécessairement fondée sur les intentions de l'artiste, et à la thèse expérientielle, selon laquelle l'évaluation d'une image en tant qu'image n'emploie que ce qu'il est possible de voir en la regardant. Il existe des arguments montrant que chacune de ces thèses est essentielle à la description de l'évaluation artistique des images. Pourtant, elles sont en tension car on ne peut pas voir les intentions de l'artiste en regardant une image. Ces deux thèses ne sont conciliables que si on accepte que les propriétés des images peuvent être vues comme le résultat des intentions de l'artiste. En d'autres termes, il faut être en mesure de répondre positivement à la question des propriétés intentionnelles des images. Or, une telle réponse possède une composante empirique qui ne saurait être ignorée. En effet, la question des propriétés intentionnelles des images doit être mise en relation avec différentes branches de la recherche en sciences cognitives traitant de la récupération des intentions d'autrui. L'attitude traditionnelle adoptée par les philosophes de l'art face au versant empirique de cette question consiste à l'éluder, en disant qu'il s'agit là simplement d'un cas où notre perception d'un objet est façonnée par nos connaissances propositionnelles. Ainsi pouvons-nous percevoir les propriétés intentionnelles des images grâce au contrôle exercé par nos connaissances propositionnelles - relatives aux intentions de l'artiste et au contexte de production de l'image, entre autres - sur notre perception. En détaillant les différentes façons dont les connaissances propositionnelles peuvent influencer la perception, on s'aperçoit que cette réponse est très insuffisante. Elle est en tension avec une idée courante en philosophie selon laquelle on peut percevoir les propriétés intentionnelles simultanément aux propriétés représentationnelles ; elle a également des difficultés pour expliquer la détection de certaines qualités, telles que la dextérité du dessinateur, ainsi que pour rendre compte de la reconnaissance de son style et de ses influences. Pour résoudre ces problèmes il est essentiel de définir une voie directe de perception des propriétés intentionnelles, c'est-à-dire qui ne passe pas obligatoirement par les connaissances propositionnelles. Cette seconde voie, la perception motrice, est orchestrée par le savoir-faire moteur de l'observateur. Pour développer l'hypothèse de la perception motrice, il est essentiel de se doter d'une théorie psychologique de l'apprentissage et de la production du dessin. Pour ce faire, la meilleure solution consiste à explorer le versant psychologique de la théorie des schémas graphiques d'Ernst Gombrich en la rapprochant de la théorie du code-commun, selon laquelle la planification de l'action et la perception de certains évènements du monde sont implémentées par les mêmes représentations. Grâce à ce rapprochement, on obtient la théorie visuomotrice des schémas graphiques, selon laquelle le mécanisme fondamental de l'apprentissage du dessin est la récupération directe des plans d'action des autres dessinateurs par observation de leurs dessins. Cette théorie permet de montrer que la perception motrice des images exploite les mêmes structures représentationnelles que celles impliquées dans la planification des actions employant le genre d'outils qui permet de produire des images, afin d'organiser l'information visuelle portée par une image de façon cohérente par rapport à l'action. En d'autres termes, la perception motrice d'une image est contrôlée par une simulation de certains éléments des actions de l'artiste, ce qui permet de percevoir les propriétés de l'image comme des résultats d'actions, c'est-à-dire de percevoir directement ses propriétés intentionnelles. L'accès perceptif aux intentions de l'artiste, et plus spécifiquement du dessinateur, apparaît ainsi comme un thème capable de structurer un dialogue productif entre la philosophie analytique de l'art et les sciences cognitives.