Summary: | Contexte : Le déclin des capacités fonctionnelles des personnes âgées hospitalisées est un enjeu pour la santé publique. Premièrement les personnes âgées ont un taux d'admission à l'hôpital supérieur à celui des personnes plus jeunes. Ces personnes âgées ont des caractéristiques différentes des patients plus jeunes, comme l'admission en urgence, les pathologies multiples et chroniques, une polymédication, un risque accru d'événements iatrogènes, ou l'allongement des durées de séjour. Deuxièmement, pour beaucoup de personnes âgées, cet épisode d'hospitalisation aura des conséquences délétères en terme de fonctionnement. Après l'hospitalisation, certaines personnes ont perdu de l'autonomie fonctionnelle, elles ont besoin d'aide, sont à risque d'institutionnalisation. Le monde hospitalier prend progressivement conscience des besoins particuliers de la population âgée mais l'offre, en particulier le nombre de lits réservés aux soins gériatriques, est insuffisante.
Les objectifs de cette thèse étaient
- de mieux connaître la population âgée qui est hospitalisée via le service des urgences. Il s'agissait d'en cerner les caractéristiques socio-démographiques mais surtout médicales et fonctionnelles.
- de suivre cette population au long de son parcours hospitalier puis, par téléphone, 1 et 3 mois après la sortie, afin d'évaluer son évolution fonctionnelle et les principaux événements tels les décès, les institutionnalisations, les réhospitalisations.. Le déclin associé à l'hospitalisation est-il important ? Peut-on identifier des facteurs de risque de déclin ?
- de créer un outil prédictif du déclin fonctionnel, utilisable dès l'admission du patient en urgence et qui, en fonction du risque de déclin, permettrait d'adapter la prise en charge hospitalière.
Type d'étude : Etude prospective d'observation. Constitution d'une cohorte de 625 patients de 70 ans et plus, hospitalisées au min. 48h par les urgences des deux cliniques universitaires de Saint-Luc et de Mont-Godinne (mars à décembre 1998).
Principaux résultats : Bien que nous ayons exclu de cette étude les patients les moins valides (AVC, ...), nous avons pu objectiver qu'un tiers (30%) de cette population présente des caractéristiques de fragilité que l'on peut mettre en évidence dès l'admission. Ces principales caractéristiques sont le besoin d'aide dans les activités de la vie journalière (AVJ) tant pour les AVJ de base que pour les AVJ instrumentales. Aux urgences, un nombre important de personnes présentait un déclin cognitif et cela d'autant plus que ces personnes proviennent de maisons de repos. Un score faible au Mini Mental State peut également traduire une confusion aiguë. La présence de ce syndrome n'a pas été établie comme telle dans notre travail. Notre population présentait par contre d'autres grands syndromes gériatriques : un déficit visuel (19%), un déficit auditif (24%). Plus du tiers de notre cohorte a présenté au moins une chute dans l'année précédant l'admission à l'hôpital. Les troubles de la continence étaient rapportés par un tiers des personnes. La comorbidité et la polymédication qui lui est associée étaient universelles dans cet échantillon. Nos données confirment que cette population âgée étaient très médicalisée car 25% de notre cohorte avait déjà été hospitalisée dans les trois mois précédents et près d'un quart allait être à nouveau hospitalisé dans les trois mois qui suivent la sortie de cette hospitalisation index. Les durées de séjour atteignaient près de deux semaines en moyenne pour notre cohorte, même après exclusion de ces calculs des patients admis en gériatrie
Nous avons pu suivre ces personnes au long et après le séjour hospitalier. Les décès intrahospitaliers ont concerné 4,6% de la cohorte, il est probable que notre critère excluant les patients avec pathologie terminale a entraîné une diminution du nombre des décès auxquels on pouvait s'attendre. Notre cohorte était bien à risque de réadmissions (23%) et d'institutionnalisations (8,4%). Ces trois événements ainsi que les facteurs qui y sont associés ont été analysés (analyses uni et multivariée). Trois mois après la sortie de l'hôpital, soit après une période qui permet habituellement une récupération, 30% des personnes incluses dans l'étude n'avaient pas récupéré leurs capacités habituelles pour les AVJ (selon l'échelle de Katz), c'est ce que nous définissons comme le déclin fonctionnel.
L'élément central de ce travail était l'élaboration d'un score prédictif du déclin. Nous avons, après identification des facteurs associés au déclin fonctionnel (analyse univariée) créé le SHERPA, acronyme de "Score Hospitalier d'Evaluation du Risque de Perte d'Autonomie", constitué de cinq facteurs aisément identifiables à l'admission (modélisation logistique). A l'aide de cet outil, nous pouvons, pour un patient, estimer le risque de déclin dans le décours de l'hospitalisation. Ces cinq facteurs sont : les AVJ instrumentales, les capacités cognitives évaluées par le MMS, l'âge, la présence d'une chute, la perception subjective de santé.
Le SHERPA a des capacités discriminantes modérées (Aire sous la courbe ROC : 0,73). Si la sensibilité et la spécificité sont globalement modérées, elles dépendent du cut-off choisi. On constate que la sensibilité est bonne (85%) si l'on considère un seuil bas, c'est à dire lorsque le patient est défini à faible risque de déclin fonctionnel par l'instrument. La spécificité s'améliore (87,2%) si on considère un seuil supérieur ou égal à 6. Les patients définis à haut risque de déclin fonctionnel sont correctement identifiés par le SHERPA.
Utiliser cet outil dès la salle d'urgence est possible, le temps nécessaire pour une évaluation étant d'une dizaine de minutes. Cela présente un double intérêt. Tout d'abord, le SHERPA permet, en salle d'urgence, de prendre en compte la dimension fonctionnelle de la santé des personnes âgées. Principale porte d'entrée de l'hôpital pour les patients âgés, la salle d'urgence doit être le lieu où débute, pour cette population, la prise en charge la plus adéquate possible. Nous avons observé combien les personnes âgées nécessitaient de l'aide pour les AVJ de base et les AVJi. Il est rare d'évaluer les capacités fonctionnelles, a fortiori par une échelle structurée, en salle d'urgence. Or, les capacités fonctionnelles sont des facteurs pronostiques de mieux en mieux connus de la mortalité liée à des pathologies fréquentes comme la pneumonie et l'infarctus du myocarde, ce qui constitue un argument en faveur d'une évaluation fonctionnelle précoce, auquel les confrères urgentistes peuvent être sensibles. Mais, surtout, se préoccuper des capacités fonctionnelles dès l'admission permet de se forger l'idée la plus précise possible des besoins du patient âgé et d'éviter une rupture dans la continuité des soins. Outre ces avantages cliniques, nous pensons que le SHERPA peut aider à mieux utiliser les ressources gériatriques disponibles, en réservant les lits de gériatrie aux patients les plus à risque de déclin fonctionnel, par exemple.
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