Summary: | Des enquêtes ont montré que plus de 20 % des adultes israéliens ont quelque connaissance du français. Parmi cette population, 250 000 à 300 000 personnes pouvaient être considérées comme francophones. Le français a affirmé une présence importante – pas toujours reconnue – dès la phase cruciale du développement de cette société. Une immigration de masse suivit la création de l’État (1948) dont la population a quasiment triplé en moins de deux décennies, avec l’arrivée de plus de 200 000 immigrants d’Afrique du Nord et des dizaines de milliers des Balkans et du Moyen-Orient. Beaucoup parmi ces immigrants étaient francophones – le français étant pour eux soit la première langue soit une deuxième qu’ils contrôlaient. C’est depuis lors que la présence du français est devenue démographiquement significative dans la société israélienne, se prolongeant de nos jours dans l’immigration en provenance de France qui se poursuit jusqu’à aujourd’hui. Comme nous l’avons montré ailleurs (Ben-Rafael et Ben-Rafael 2013), Israël fait l’expérience simultanée de plusieurs francophonies originales qui diffèrent par leurs sources aussi bien que leurs expressions (Ben-Rafael et Ben-Rafael 2013). Un premier modèle est le « français vernaculaire » (voir Boudras-Chapon 2008) amené par les immigrants de classes défavorisées arrivant d’Afrique du nord qui se sont regroupés en Israël. Leur français n’a offert qu’une faible résistance à l’hébreu qui s’est imposée dans le processus d’intégration. Un bilinguisme fonctionnant sur un mode additif au début qui s’est mué progressivement en modèle soustractif. Un second modèle concerne les immigrants de même origine ainsi que des immigrants francophones d’autres pays (pays balkaniques, Turquie ou Egypte) formant une strate instruite de classe moyenne, pour qui le français était d’utilisation quotidienne aussi bien que de langue de culture. Ce français s’est plus ou moins maintenu dans les rapports de famille ou les cercles d’amis s ans, toutefois, que soit assuré son transfert aux enfants. Un troisième modèle plus récent date de cette vague d’immigration de France qui débuta dans les années 1990s dans le contexte du malaise des Juifs face à la judéophobie croissante qui sévit durant ces années sur le continent européen. En cette ère contemporaine, cependant, les facilités de communication, de transport et de relations transnationales créent de nouveaux paramètres d’insertion: celle-ci n’est plus synonyme de rupture avec un ailleurs mais rend possible la formation de ‘diasporas transnationales’ avec toute la complexité des comportements linguistiques qu’elles comportent (voir Glick Schiller et al. 1992). De quelle origine que soit le français, cependant, il se trouve en Israël en contact direct et permanent avec la langue légitme, l’hébreu. Sous cette influence, il évolue vers une forme hybride que Miriam Ben-Rafael (2011) avait déjà dénommé le « franbreu » (voir le cas parallèle de l’anglais israélien,
Hebrish, chez Olshtain, Blum-Kulka 1989). Même si la vague récente d’immigration francophone manifeste avec plus de détermination que toute autre immigration francophone sa volonté de garder ‘son’ français tout en s’’hébraïsant’, il est quasiment inéluctable que sa langue converge vers le franbreu. C’est dans ce contexte que le travail présenté ici qui fait suite à un ouvrage consacré aux francophonies israéliennes (Ben-Rafael et Ben-Rafael 2013), se focalise sur le parcours sociologique et l’évolution sociolinguistique du franbreu en Israël. Notre étude, nous le suggèrerons, présente une signification générale pour les cas de francophonie évoluant dans une société qui ne l’est pas.
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