Summary: | Texte phare pour la problématique de la codification des passions, la Conférence sur l’expression générale et particulière (prononcée en 1668) de Charles Le Brun représente l’apogée du mouvement rationaliste en peinture, puisqu’elle prétend associer à chaque passion une représentation particulière, sans ambiguïté possible. Fondée sur une doctrine des passions d’inspiration cartésienne, elle prétend mettre au point un code universellement déchiffrable, à l’imitation de la « nature », entendue selon les Classiques, comme la nature idéale. Véritable sémiotique des passions, le système de Le Brun se présente comme un alphabet des passions, une grammaire visuelle, fondée sur une conception logocentrique des passions, puisque pour chacune d’elle Le Brun offre une définition et une illustration, entendue comme sa transcription iconographique. La conférence, curieusement, eut une influence extrêmement féconde, tant pour ses émules que pour ses critiques. Félibien et de Piles, en particulier, dénoncent immédiatement la manière qu’elle a d’ignorer les particularités individuelles ou culturelles et de se fonder sur une notion erronée de la nature et de l’universel. Plus fondamentalement, ce système de codification de la représentation des passions représente la mise à mort de l’esthétique de la grâce et du « je ne sais quoi » cher au XVIIe siècle français. En Angleterre, l’intérêt pour Le Brun ne se dément pas au XVIIIe siècle, où l’on continue à publier et à copier ses gravures. Hogarth lui-même semble inclure des allusions visuelles à l’artiste français dans ses œuvres à plusieurs reprises, mais c’est pour mieux dénoncer une approche trop schématique et trop théorique à ses yeux, et en fin de compte, inutile. C’est peut-être la comparaison avec le théâtre qui permet le mieux de mettre en évidence la réception contrastée de Le Brun en France et en Angleterre. Les acteurs s’étaient toujours inspirés de la peinture pour modeler leurs expressions, et il est à noter que l’idée que la gestuelle et l’expression plus que la déclamation doivent traduire et évoquer les passions semble s’imposer au cours du XVIIIe siècle en France. La visite de Garrick à Paris fait prendre conscience de la persistance d’un style déclamatoire français en opposition avec la gestuelle complexe et raffinée du grand comédien anglais. Alors que Le Brun, par son attention aux traits du visage, aurait pu contribuer à mettre l’accent sur le corps du comédien, il semble qu’en raison notamment de sa concentration exclusive sur les traits aux dépens du corps, justement, il ait fini par jouer un rôle d’obstacle en figeant la représentation dans des types superficiels et faisant fi du reste du corps. Ce qui ressort, finalement, c’est la différence dans les problématiques dominantes entre le XVIIe et le XVIIIe siècle : au XVIIe siècle, en peinture comme au théâtre, se manifeste la prédilection pour les doctrines prescriptives, systématiques et globalisantes, qui permettent de substituer à la diversité naturelle une idée de nature idéale conçue comme universelle. Il est notable que ces systèmes sémiotiques sont organisés comme un langage, mais à caractère conventionnel. Mais au tournant du XVIIIe siècle, les enjeux se sont déplacés de manière significative : le débat se porte désormais sur la place de l’inné et de l’acquis, et tout un débat s’élève sur l’importance de la physionomie dans la formation de la personnalité et face aux déterminismes de la naissance, de la personnalité ou des passions. Si les écrits théoriques de Le Brun et ses dessins sont toujours étudiés, c’est donc bien plutôt dans la perspective de cette nouvelle science de la physiognomonie qui se cherche que dans le but d’appliquer son système comme une grammaire dans le cadre de la représenation picturale ou théâtrale. En Angleterre, où Le Brun semble avoir eu moins d’influence qu’en France, règne une plus grande inventivité dans le domaine de l’expressivité – le théâtre dit pathétique en est un exemple. En France, les règles, secondées par des entreprises comme celle de Le Brun, sont parfois vécues comme une contrainte et dans tous les cas sont des freins aux innovations, tout en permettant la consolidation d’une tradition nationale forte.
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