Summary: | Afin de bien cerner les paramètres de la représentation de la préhistoire au tournant du XXe siècle, il faut d’emblée relever quelques équivoques qu’implique la construction d’un tel imaginaire, au moment même où ces temps archaïques font l’objet d’une attention récente de la part des scientifiques : la « préhistoire » désigne autant cette période autrefois appelée antédiluvienne ou préadamique que la discipline qui l’étudie. A ce titre, l’évacuation processuelle et progressive du recours aux sèmes religieux pour évoquer la période dit bien la volonté d’instituer une discipline scientifique pour la saisir. Le plus frappant de ces paradoxes est double : d’une part, le déficit d’images et de textes, intrinsèque à la préhistoire en tant que période, appelle la fictionnalisation et stimule l’imagination. D’autre part, l’inscription du « temps profond » de l’évolution dans le temps court du récit ou figé de l’image ne semble pas aller de soi. Enfin, l’immersion du lectorat-spectatorat contemporain dans une diégèse en tous points exotique (temporalité, mais aussi environnement, faune, flore, habitus) pose la question des stratégies thématiques et narratologiques à même de pouvoir surmonter l’obstacle d’un monde irreprésentable.
Ce sont ces stratégies d’immersion que nous nous proposons d’examiner ici : narrativement, via la mise en place d’espaces de seuils et de modalités d’accompagnement du lecteur-spectateur dans la diégèse, ou par le truchement d’une économie narrative télescopant la microhistoire du personnage et la macrohistoire de l’espèce. Thématiquement via la mise en œuvre d’un double processus d’identification et de comparaison permettant soit une projection du contemporain tel qu’il se représente dans un passé fantasmé, soit la projection de figures d’altérités (le colonisé, le fou, le criminel, l’atavique…) facilitant la saisie du monde préhistorique par assimilation à d’autres représentations plus familières, bien qu’encore exotiques.
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