Descartes : le théâtre des passions

Au XVIIe siècle, les passions sont un enjeu majeur aussi bien dans le champ de la philosophie que dans celui des arts et de la littérature. Au croisement de la physiologie et de la morale, la doctrine des passions est la pierre angulaire de toute philosophie érigée en système ; c’est pourquoi il n’e...

Full description

Bibliographic Details
Main Author: Philippe Hamou
Format: Article
Language:English
Published: Institut du Monde Anglophone 2002-05-01
Series:Etudes Epistémè
Online Access:http://journals.openedition.org/episteme/8418
Description
Summary:Au XVIIe siècle, les passions sont un enjeu majeur aussi bien dans le champ de la philosophie que dans celui des arts et de la littérature. Au croisement de la physiologie et de la morale, la doctrine des passions est la pierre angulaire de toute philosophie érigée en système ; c’est pourquoi il n’est pas un auteur qui ne soit amené à composer son traité des passions : Coëffeteau et Senault, mais aussi, surtout, Descartes et Malebranche, contribuent à dessiner, en France, une géographie nouvelle de la passion qui innervera tout le classicisme. De l’autre côté de la Manche, l’Angleterre est aussi un grand pays de l’anatomie morale, genre illustré aussi bien par Burton que par Hobbes qui, dans sa théorie controversée des passions, met en avant la prééminence de l’amour-propre (self-interest). Dans le monde des lettres, c’est peut-être au théâtre que s’élabore le plus nettement une réflexion sur les passions : si Chapman propose une méditation sur la colère et la résistance stoïcienne aux emportements de l’âme, et si la comédie des humeurs de Jonson reste encore largement tributaire de l’ancienne médecine galénique, Shakespeare inaugure un théâtre moderne de la passion où l’amour, vécu comme un destin, apparaît comme autrement dangereux que ne le laissait penser la psychologie humorale. Aussi n’est-ce peut-être pas sans raison que des moralistes chrétiens s’alarment d’un théâtre qui exalte les passions ; les calvinistes anglais aussi bien que les augustiniens français se refusent à envisager la possibilité même d’une catharsis et s’inquiètent d’un théâtre qui met en scène des passions contagieuses susceptibles de contaminer le spectateur. Les artistes, de leur côté, s’inquiètent aussi de ces débordements passionnels que peuvent provoquer les spectacles, et tentent d’y répondre par une codification stricte de la représentation des émotions ; c’est à cette fin que Charles Le Brun élabore sa grammaire des passions, fondée sur ses célèbres expressions faciales. En Angleterre, pendant la Restauration, on assiste à une entreprise similaire de remise en ordre du théâtre avec notamment la tragédie néo-classique de Dryden, mais la tradition empirique résiste à l’importation des modèles français. En définitive, la réception de Le Brun en Angleterre permet de percevoir le peu d’impact sur le sol anglais de la théorisation continentale.
ISSN:1634-0450